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main légère de Nicole palpe délicatement l’articulation atteinte, remonte du poignet au coude et du coude à l’épaule.

« Rien de cassé… une simple foulure, dont le massage et une compresse d’arnica auront bientôt raison, prononce Nicole. Comment donc cela est-il arrivé ?

— Ne m’en parlez pas !… Maladroit que je suis… C’est en me hissant à bord que j’ai fait ce beau coup !…

— Et moi, vous m’y avez placée si adroitement ! Pauvre Gérard !… s’écrie Nicole, pleine de sympathie. Mais qu’allons-nous devenir ? … Nous ne pouvons pas continuer le voyage dans ces conditions… Il faut redescendre ! …

— Pour nous faire repincer par nos bons amis les Anglais ?… Non, merci, ma chère Nicole !… Avec votre permission, nous ne leur ferons pas ce plaisir !…

— Mais…

— Non, non, croyez-moi, chère amie, « le vin est tiré, il faut le boire », comme dirait Le Guen. Vous comprenez que désormais, ayant vu notre oiseau, ils sont avertis et n’attendent que l’occasion de lui mettre le grappin dessus… Et si nous avions la bonté d’aller nous placer nous-mêmes à portée de leurs griffes…

— Mais l’île est grande ! Ne pourrions-nous pas nous cacher quelque temps dans les collines du centre ?

— Soyez certaine que notre signalement est déjà donné partout : si l’Epiornis a le malheur de reparaître, à cent lieues à la ronde il sera immédiatement descendu par un obus, et nous serons faits prisonniers — si tant est que nous arrivions vivants en bas !

— Ne pourrions-nous atterrir ailleurs ?

— Aux Indes ?… Même histoire.

— Pourquoi pas dans l’Inde française ?

— Et perdre notre temps en route au lieu d’aller droit au Transvaal ? Non, Nicole, si vous le voulez, à nous deux nous pouvons mener l’Epiornis au but, j’en suis convaincu. J’oubliais de vous dire que, dès ce matin, nous avons envoyé des télégrammes en Europe et à Calcutta pour signaler la présence des naufragés sur l’île et demander de prompts secours… Mais j’y songe ! je vous parle hébreu ! Vous ignorez absolument ce que c’est que cette île et ces naufragés… Reprenons les choses du commencement, si vous voulez bien. »

Et, tandis que Nicole continuait à masser scientifiquement le poignet endommagé, Gérard la mit sommairement au courant des aventures qui les avaient enfin amenés, Henri et lui, à Ceylan pour l’y cueillir et en rapporter, l’un une douloureuse foulure et l’autre un coup de feu à la tête.

« Mais soyez tranquille, chère Nicole, conclut Gérard, nous nous tirerons d’affaire. Je surveillais Henri tout en parlant, et son évanouissement me paraît se changer en un sommeil naturel. Laissons-le dormir. Ce sera le meilleur traitement, puisque vous avez si bien pansé sa blessure.

— Et vous, mon pauvre Gérard, comment pourriez-vous continuer à mener la machine avec une seule main ?… Cela ne saurait durer ainsi !… C’est impossible !…

— Aussi ai-je bien l’intention de vous demander votre aide. C’est simple comme bonjour — simple comme toutes les choses belles. Vous voyez ce disque, ces lettres indiquant les points cardinaux, ces leviers, ces manettes : en tirant celle-ci, nous montons, celle-là nous descendons ; comme ceci nous virons de bord à droite et à gauche, et, quand nous sommes deux à manœuvrer, si le second se tient au gouvernail, on ne peut rien imaginer de plus rapide, de plus moelleux, de plus exquis que l’allure de notre bon géant… Voulez-vous essayer ?

— Certes !… pourvu, au moins, que je ne fasse pas de sottises !…

— Je suis là ! ne craignez rien. Essayons, prenez les poignées, maintenez l’Epiornis