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Une rumeur confuse, des cris, des hurlements, montaient dans une colonne de poussière. En même temps que la lampe électrique sautait en pièces, un obus avait éclaté sur un des corps de garde, y causant d’affreux ravages.

La canonnade et les feux de salve durent encore quelques secondes, puis s’arrêtent graduellement… Une dernière détonation… C’est fini !… l’Epiornis, sorti à son honneur de cette chaude alerte, suit son essor victorieux à quinze cents mètres au-dessus de ses obscurs blasphémateurs.

Mais, des trois personnes qui l’occupent, une seule demeure en pleine possession de ses moyens, — c’est Nicole.

Henri gît devant le disque, évanoui, le sang coulant à flots d’une blessure à la nuque. Gérard, qui s’est foulé le poignet gauche et rudement heurté le front au départ, a abandonné sa carabine, et sautant sur les manettes, guide tant bien que mal le vol éperdu de l’oiseau géant.

Le premier moment de stupeur passé, Nicole essaye de percer l’obscurité profonde, de distinguer la silhouette de ses compagnons, de comprendre par quel miracle elle est ainsi emportée sans secousse et sans bruit hors des affres et des souffrances de la captivité.

« Henri !… Gérard !… Êtes-vous là ?… articule-t-elle.

— Ah ! Nicole !… Saine et sauve ?… répond Gérard. Tenez, cherchez à gauche : vous trouverez une lanterne sourde allumée ; entrouvrez la petite porte… Mais prenez bien garde qu’on ne vous aperçoive pas d’en bas !… »

Nicole a bientôt mis la main sur l’œil-de-bœuf du fanal, en fait jaillir un rayon de lumière. Elle ne peut retenir un cri d’épouvante en apercevant le visage ensanglanté d’Henri qui, pâle, les yeux clos, semble avoir exhalé le dernier soupir.

« Mort, est-il possible ? s’écrie-t-elle en tombant à genoux à côté de lui.

— Blessé seulement, espérons-le ! dit Gérard non sans angoisse. Vite, Nicole, la boîte à médicaments… Impossible que je quitte le disque… Là, à droite… voyez-vous ?… un petit coffre rouge… »

En un clin d’œil, Nicole a trouvé la boite, y a pris tout ce qui est nécessaire à un pansement. Habile infirmière, elle examine la blessure ; c’est un coup de feu qui a contourné la nuque et labouré le maxillaire, mais, autant qu’elle peut en juger, sans que le projectile soit resté dans la plaie ; le sang a coulé en abondance, ce qui est une bonne chose en soi et diminue le danger d’inflammation ; c’est sans doute la commotion qui a fait perdre connaissance au blessé. Nicole lave la plaie, bande adroitement la tête d’Henry, lui maintient un flacon d’ammoniaque sous les narines et s’efforce de lui faire avaler quelques gouttes d’éther ; mais il demeure privé de sentiment, bien que la respiration soit calme et régulière comme celle d’un homme endormi.

« Je ne puis pas le ranimer, Gérard, fait Nicole les larmes aux yeux.

— Un peu de commotion cérébrale, répond Gérard qui a vu assez de blessés pendant qu’il suivait la Croix-Rouge sur les champs du Transvaal, pour avoir acquis une certaine expérience. Laissons-le reposer, chère Nicole, il reviendra à lui tout naturellement. Aïe !… ajoute-t-il en se mordant la lèvre. Un mouvement inconsidéré de son bras gauche lui ayant causé la plus vive douleur.

— Qu’avez-vous ?… Seriez-vous blessé aussi ? s’écrie Nicole.

— J’ai eu la maladresse de me tordre le bras en grimpant… Quand vous aurez le temps de le regarder…

— Oh ! voyons vite !… »

S’approchant de lui, la jeune fille saisit le bras malade ; le pauvre garçon ne peut retenir une contraction des lèvres, tandis que la