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de Suzanne, un chien traversait le vestibule et bondissait sur la petite fille.

« Tramp ! cher Tramp, d’où viens-tu ? » s’écria Molly en pressant l’animal dans ses bras.

Puis, se relevant vivement, elle courut à la porte, et, poussant Suzanne de côté, jeta ses bras autour du cou de Jock qui se tenait au dehors.

« Vous voilà, Jock ! s’écria-t-elle. Grand-père est sorti. Mais quel événement vous amène ? Vous êtes glacé ! Entrez vite pour vous chauffer !

— Mademoiselle Molly, que dira vôtre bonne, si vous introduisez ici un tel vagabond ? » dit Suzanne d’un ton de reproche.

Molly se retourna et prit un air important : « Ne soyez pas si sotte, Suzanne. Comment ne reconnaissez-vous pas le jeune monsieur qui était à Gray-Tors, au printemps dernier ? Allez vite préparer du thé, et apportez-le bien chaud dans le cabinet de travail. »

Elle fit ensuite entrer ses visiteurs, les installa devant le feu, babillant avec une vivacité extraordinaire.

« Comment se fait-il que vous arriviez seul et si tard ? Vous êtes pâle, couvert de poussière ; vous semblez exténué. Il n’est vraiment pas étonnant que Suzanne vous ait pris pour un vagabond. Quant à Tramp, je n’ai jamais vu un animal de si vilaine mine.

— Nous avons fait à pied la dernière partie du voyage de Drisley ici. Nous sommes en route depuis la nuit dernière, et n’avons rien mangé, répliqua Jock, se laissant tomber accablé sur un siège.

— Oh ! pauvre ami ! que c’est triste ! s’écria Molly.

— J’ai fait à pied cette longue route, parce qu’il faut que je voie M. Harrison. Je n’avais pas assez d’argent pour prendre un billet jusqu’ici et acheter de quoi manger.

— Grand-père est allé dîner chez des amis. Comme il sera surpris de vous voir ! fit Molly.

— J’espère qu’il ne sera pas mécontent. Il m’a offert d’avoir recours à lui quand je serais dans l’embarras. Dites, Molly ! savez-vous si Beggarmoor est vendu, ou s’il m’appartient encore ? reprit Jock anxieux.

— Je sais. J’ai interrogé grand-père à ce sujet. Tout sera arrangé demain matin. Il reste à signer l’acte : cela fait, la lande ne vous appartiendra plus. »

Jock se perdit dans une profonde rêverie, tandis que la petite fille, assise à ses pieds, caressait le chien sans remarquer les tâches que les pattes sales de l’animal laissaient sur sa robe.

Bientôt le petit garçon leva la tête, ses yeux gris étincelaient de la résolution qu’il venait de prendre.

« Molly, dit-il d’une voix ferme, c’est décidé. Je vais jusqu’à Beggarmoor ; je verrai Bagshaw, Ce soir même. Il faut que je parte avant le retour de M. Harrison, qui pourrait s’opposer à mon projet.

— N’avez-vous pas peur de cette visite, seul, et dans la nuit ? Je croyais que le fermier était un homme terrible.

— Je suis trop sérieux pour avoir peur d’un homme comme celui-là. Il est peu probable qu’il essaye de me tuer, car je suis fort et déjà grand.

— Dans l’état où vous êtes, soupira Molly, pourrez-vous résister à une agression ? La fuite même vous sera-t-elle possible ? Ne pouvez-vous pas attendre jusqu’à demain ?

— Non, il faut que j’aille ce soir, dès que je serai un peu reposé.

— Eb bien ! buvez d’abord une tasse de thé, pendant que Tramp mangera son souper », dit Molly voyant que toute résistance était inutile.

La conversation fut alors interrompue par l’arrivée de Suzanne qui apportait le plateau. Elle et Molly servirent avec empressement leurs visiteurs inattendus. Bien qu’il n’eut depuis la veille touché à aucune nourriture,