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JACQUES LERMONT

Combien de temps avait-il dormi ? Maintenant, ces questions-là lui paraissaient importantes, plus qu’avant : il avait si peu d’heures à vivre à présent. Il tendit la main vers la crevasse qui lui servait de garde-manger. Mais il se ravisa en se rappelant qu’il avait jeté dans un coin les provisions apportées dans ses poches. Il les recueillit avec soin sans rallumer, en palpant le sol, comptant avec minutie ce qu’il possédait. Et il mangea un gâteau seulement et but quelques gouttes à peine de coco ! il n’en avait qu’une bouteille, pas grande ! Tout de même il fallait mourir le moins vite possible car, qui savait ? L’espoir était bien faible ; pourtant, puisqu’il était venu là, d’autres pouvaient y être amenés aussi. Malheureusement, la moisson était finie, sans quoi, dans la journée, les paysans auraient pu venir à la source et l’auraient entendu les cris du prisonnier. Mais les blés étaient rentrés, et le sarrasin qui restait sur pied dans les champs était loin d’être mûr.

Cependant, on allait chercher Yves, c’était certain.

De nouveau, il cria jusqu’à sentir sa voix faiblir. Et il lui prit la peur de ne plus pouvoir crier le lendemain, au jour. Il résolut de ménager sa voix, d’attendre, pour recommencer ses appels, qu’une lueur l’avertit qu’il faisait jour. Il espéra quelque chose des pâtres qu’il avait vus souvent jouer en gardant une ou deux vaches, sur le sentier voisin, là, au-dessus de sa tête, et fureter autour de la source. Peut-être quelqu’un d’eux connaissait-il cette entrée.

Demain, peut-être…

Yves s’étendit sur le varech, brisé de fatigue, surtout d’émotion, pleura encore et, au milieu de ses larmes, s’endormit. Tout en s’endormant, il murmurait : Manon !… Manon !…

(La suite prochainement.) Jacques Lermont.


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