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« Hé ! le moricaud ! Prends ton argent et emporte ta corbeille. On t’a assez vu.

— Un ana !… Un ana pour tout ce que tu as dévoré ! glapit Djaldi.

— Pour des fruits volés, sans doute… c’est bien payé !

— Je ne suis pas un voleur ! Ces fruits viennent du jardin de mon père — un plus honnête homme que le tien !

— Vermine ! je vais t’apprendre à me parler ainsi… »

Mais, ramassant son éventaire, Djaldi s’enfuyait déjà à toutes jambes, content du résultat de son expédition. Il avait noté soigneusement la situation du wagon, ses abords, la distance qui le séparait du corps de garde, les points de repère qui lui permettraient de le retrouver aisément ; et son œil avisé avait bientôt noté une indication qui le dispensait de chercher davantage, qui pouvait presque servir de poteau indicateur : c’était une maison de bois assez vaste, par comparaison avec les misérables buttes qui l’entouraient, et sur laquelle flottait le drapeau à croix rouge. Le wagon qui servait d’abri à Nicole était le huitième, si l’on suivait une ligne droite, partant de l’ambulance pour gagner la porte de sortie ; muni de ces renseignements, Henri, qui menait son aviateur avec tant de sûreté, ne courrait pas le risque de s’égarer.

Léger comme un chamois, Djaldi parvient en quelques minutes à cette porte, sans autre accident que le pillage du reste de ses fruits par des soldats qui, ceux-là, n’eurent pas l’honnêteté de lui offrir même une fraction d’ana. Mais, dédaigneux d’un détail aussi mince, le petit Hindou, dévorant l’espace, se mit en devoir de regagner au plus vite la maison paternelle. Il avait hâte de rassurer ses grands amis ; et il était tout glorieux du bon résultat de son ambassade…

Quelle joie ! Quel soulagement ! quand on le vit arriver, sa bonne figure brune toute rayonnante. Les parents étaient fiers de la conduite de leur fils ; ils avaient compris, avec l’intuition de cœurs délicats, combien il était pénible à ces intrépides jeunes gens de demeurer inoccupés, ne fût-ce que l’espace d’une matinée, et de remettre à des mains étrangères le soin de leurs plus chers intérêts.

Mais cette période d’attente et d’incertitude était passée… Nicole vivait. Les privations, les fatigues n’avaient altéré ni sa santé, ni son courage. Elle savait que le salut était proche. Que d’heureuses nouvelles après tant d’épreuves amères ! Henri et Gérard ne se lassaient pas de se faire redire tous les détails de l’entrevue ; et Djaldi répétait avec complaisance combien la Mem Sahib était imposante : il avait cru voir un ange du ciel ! Et combien elle était douce aux malades, aux malheureux ! Comment les petits enfants baisaient ses mains !…

Les larmes coulaient sur le visage brun de la mère de Djaldi, en écoutant ces récits. Et quand vint le soir, quand les jeunes hôtes dirent adieu à la maisonnette hospitalière, non sans laisser entre les mains du père un souvenir généreux de leur passage, il leur sembla à tous que c’étaient des amis qui partaient. Djaldi surtout se montrait inconsolable, Henri ayant refusé péremptoirement de permettre qu’il participât à une expédition qui pouvait aboutir à des coups de fusil ; car le pauvre petit, en dehors de la vive affection qu’il avait vouée aux deux frères, avait pris un goût non moins vif pour l’Epiornis ; il se trouvait affreusement désappointé par cette décision qu’il n’avait point prévue.

On avait attendu pour se mettre en route que le lever et le coucher de la lune fussent accomplis. Bien avant l’heure favorable, les deux frères, guidés par Djaldi et son père vers le cirque des rochers où l’Epiornis était remisé, observaient impatiemment le ciel ; à mesure que le crépuscule l’envahit, un fantôme de lune se dessine ; peu à peu l’astre brille d’un éclat plus vif, et enfin il répand