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Celle qui parlait était une jeune fille vêtue de noir, de taille haute et svelte, d’aspect infiniment noble et doux. Sa blanche figure, émaciée par les fatigues et les privations, semblait celle d’un pur esprit ; ses grands yeux gris, intelligents, lumineux, respiraient la pitié ; ses cheveux blonds la nimbaient comme d’une auréole ; et lorsque, agenouillée près de Janik, sa fine main, sa douce voix enveloppèrent de consolation la petite malade, Djaldi crut voir un ange descendu du ciel, et demeura frappé de respect.

Du premier coup d’œil, il avait d’ailleurs reconnu Nicole Mauvilain.

« Janik est bien contente, dit la mère, laissant tomber une larme. Mais comment payerons-nous ces fruits-là, demoiselle ? Je n’ai pas un penny.

— Moi non plus, dit la jeune fille. Mais le petit marchand doit avoir bon cœur… Je vois cela sur sa figure… Il nous les donnera, ou il attendra que nous puissions payer… » Et, comme elle parlait ainsi, un sourire si charmant vint animer cette physionomie sérieuse, que Djaldi eût souhaité avoir dix éventaires chargés de fruits pour les offrir. Mais il ne s’agissait pas de perdre son temps : il fallait prudemment se faire connaître.

« Je donne mes fruits si vous voulez bien les accepter, ou je les vends si vous le préférez, dit ce jeune diplomate. Je voudrais faire ici exactement ce que feraient mes maîtres révérés, les bons Sahibs Henri et Gérard Massey… »

Sans élever la voix, il avait pris soin de détacher nettement chaque mot. La jeune fille tressaillit à son tour.

« Qu’as-tu dis, mon enfant ? quels noms as-tu prononcés ?…

— Henri Sahib et Gérard Sahib, fit-il baissant le ton.

— Tu les connais ? Tu les a vus ? s’écria-t-elle, l’entraînant à quelques pas de là.

— Ce matin même. Et toi, demoiselle, n’es-tu pas la Mem Sahib Nicole ?

— C’est mon nom : Nicole Mauvilain… Dis, parle vite !… Tu viens de leur part ? Ô ciel miséricordieux, soyez béni !

— Ils t’attendent près du camp. Eux ne sauraient y pénétrer, mais je viens te dire de leur part que la liberté est à ta portée… Oh ! ils sont bons et forts ; ils peuvent tout ce qu’ils veulent, fit l’enfant avec enthousiasme. Ils ont fabriqué, pour venir te prendre, un grand oiseau-fée qui nous a menés ici en faisant le tour du monde…

— Dieu soit loué ! Dieu soit loué ! répétait la jeune fille avec ferveur. Mais dis-moi, cher enfant, t’ont-ils expliqué comment ils comptent pénétrer jusqu’ici, ou me faciliter la sortie du camp ? Répète-moi bien fidèlement les instructions que tu as reçues.

— Nous devons, toi et moi, choisir un emplacement où le grand oiseau puisse venir se poser à la nuit noire, et toi tu n’as qu’à te tenir prête à t’embarquer au premier signal.

— Un ballon ?… un aérostat dirigeable ? se disait Nicole rêveuse. — Oui, Henri est bien capable de l’avoir trouvé… et le moyen d’évasion paraît en effet ingénieux… pourvu qu’une des patrouilles qui circulent sans cesse ne nous empêche pas d’exécuter notre dessein… Voici ! fit-elle après avoir réfléchi ; il faudra que l’oiseau dont tu parles vienne se poser sur la bâche du wagon qui me sert de logis. Si la nuit est très sombre, peut-être réussirons-nous à n’être pas aperçus par les soldats qui à tout instant parcourent les ruelles. — Il est sévèrement défendu à tout autre qu’eux de circuler la nuit.

— On choisira l’heure la plus noire, les. Sahibs l’ont dit. Mais, d’abord, montre-moi l’emplacement du wagon, Mem Sahib, il ne s’agirait pas de se tromper ! fit Djaldi d’un petit air important.

— Suis-moi à quelque distance, dit Nicole, et ne me parle pas ; ceux qui nous gardent sont soupçonneux. Quand je serai arrivée à ma demeure, tu t’approcheras, je feindrai de mar-