Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/705

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les maigres deniers que peuvent contenir les poches des détenus avant que la concurrence vienne les leur disputer.

D’un pas vif, Djaldi se met à parcourir les voies tortueuses, les ruelles sordides, offrant sa marchandise, scrutant les physionomies, essayant de reconnaître celle qui lui a été minutieusement décrite. Pendant longtemps il erre ainsi sans succès, cherchant vainement parmi les figures lamentables qu’il rencontre une femme ou une jeune fille ressemblant même de loin au portrait qu’on lui avait fait de Nicole. La plupart de ces infortunées faisaient mal à voir : maigres, hâves, décharnées, vieillies avant l’âge, elles paraissaient généralement stupéfiées par la faim et les privations, incapables même de faire un mouvement pour s’arracher à leur triste sort. Près d’une tente misérable, le petit Hindou s’arrêta involontairement frappé par un spectacle navrant. Sur un grabat étendu à l’entrée, une fillette agonisait, pareille déjà à un pauvre petit cadavre. Ses lèvres desséchées laissaient à découvert toutes ses dents jaunes. Ses pieds et ses mains paraissaient disproportionnés, au bout des os décharnés qu’étaient devenus ses bras et ses jambes ; à l’approche de Djaldi, une lueur s’alluma dans ses yeux éteints ; et le regard avidement fixé sur les fruits qu’il portait disait assez que si la petite s’en allait c’était uniquement faute de nourriture.

Vite il choisit le plus beau et le lui offrit ; mais la pauvre créature n’avait plus la force de le porter à ses lèvres.

Une femme accroupie tout auprès, misérable fantôme presque aussi faible que la fillette, prit le fruit, l’approcha de sa bouche ; l’enfant y mordit, et un pâle sourire parut sur son visage, tandis que la triste mère disait d’un regard silencieux sa reconnaissance.

Remué de pitié, Djaldi s’attardait auprès d’elles, voulant que toutes deux se rafraîchissent, et ne pouvant se décider à quitter ce grabat avant qu’un peu de mieux se fût dessiné sur le visage de la petite, lorsqu’une voix au timbre pur et grave entendue derrière lui le fit soudain tressaillir et se retourner.

« Bonjour, dame Frika ! Je vois avec plaisir que vous avez de beaux fruits pour notre Janik, ce matin !… »