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peine à retrouver la grotte. Dévalant rapidement, on aborde une large route percée dans les bois et embaumée de parfums exquis. D’un arbre à l’autre courent des plantes grimpantes les reliant de guirlandes fleuries ; on voit là des spécimens de tous les géants végétaux pour lesquels l’île de Ceylan est célébré : le ficus elastica aux racines contournées en forme de serpents, et dont l’ombre couvre parfois jusqu’à la moitié d’une acre de terrain ; le palmier du voyageur, qui donne une eau pure et délicieuse si l’on pratique une incision dans son écorce ; l’arbre à bétel, le caféier de Libéria, l’arbre à pin, le cinchona, le cocotier, le tulipier, et cent autres mêlent leurs arômes épicés au doux parfum des fleurs. Et c’est au cœur de ce paradis que des milliers de femmes et d’enfants, innocentes victimes d’une guerre sans merci, languissent et meurent !… Le souvenir des miasmes du camp en paraît plus écœurant !…

Enfin on arrive aux abords de la demeure du guide-interprète. Une guitare indigène bourdonne mélancolique. Djaldi ne fait qu’un bond et se jette aux pieds d’un grand Cingalais, à l’épais chignon roulé sur la nuque, le torse couvert d’une veste de couleur sombre, les jambes serrées dans un pagne de calicot. C’est son père qui, de saisissement, laisse tomber sa guitare.

Il ne peut croire d’abord au témoignage de ses sens et au retour de l’enfant prodigue qu’il avait cru mort depuis longtemps, mangé par le « seigneur tigre » ou le « seigneur crocodile ». Et, lorsque Djaldi lui a expliqué avec volubilité quels liens l’attachent aux jeunes Français, il se précipite, leur baise les mains, leur baiserait les pieds, s’ils ne s’en défendaient.

Au tumulte joyeux, la mère et les enfants sont accourus — le plus jeune, un magnifique bébé de dix-huit mois est sommairement vêtu d’une guirlande de jasmin — et tout le monde se livre à la joie.

Puis, on invite poliment les voyageurs à entrer et à se rafraîchir ; la maison est petite, mais propre, et le guide, cordialement appuyé par sa femme, prie les deux Sahibs de considérer comme leur propriété tout ce qu’elle contient.

On accepte simplement cette hospitalité simplement offerte, et Henri, convaincu, au bout de quelques minutes d’examen, qu’il a affaire à de braves et honnêtes gens, ne craint pas de leur confier le but de son voyage en demandant conseil sur les moyens de pénétrer dans le camp.

Goûla-Doûda secoue la tête. Ce sera difficile ; pour eux Français, impossible sans doute… mais peut-être le petit pourrait-il s’y glisser, chercher la Mem Sahib (la dame blanche) et tâcher de se mettre en rapport avec elle.

Ce projet, d’abord repoussé par les deux frères qui répugnent à exposer Djaldi, est définitivement adopté, quand le père et la mère ont affirmé qu’il ne peut y avoir aucun danger pour leur fils, à faire comme tant d’autres Hindous, à pénétrer dans le camp en qualité de vendeur, — pourvu qu’il s’y conduise avec prudence et discrétion. Sur quoi, ils lui font soigneusement la leçon et lui donnent toutes les indications nécessaires.

Le lendemain, au lever du jour, Djaldi suspend à son cou un éventaire chargé de bananes, de pêches et de grenades, il se dirige vers le camp et se présente au corps de garde. Il recèle, au coin le plus sûr de sa mémoire, un message verbal que nul ne pourra lui dérober et dans son petit cœur fidèle le désir ardent de venir en aide efficacement aux bons Sahibs qui lui ont été fraternels et secourables.

Selon la prédiction de Goûla-Doûla, l’enfant ne rencontre aucune difficulté pour entrer. En même temps que lui, une foule d’indigènes, petits ou grands, se pressent aux portes avec des marchandises de diverses sortes, tous désirent d’être les premiers, de récolter