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La distance ne lui avait pas semblé très grande quand il avait fait la route dans un cab, avec M. Harrison ; maintenant les rues paraissaient interminables. L’enfant fut obligé de demander plus d’une fois son chemin : ceux qu’il interrogeait lui disaient qu’il avait encore une longue marche à fournir. À la fin, épuisé de fatigue et à bout de force, il se décida a dépenser ses quelques sous de monnaie pour acheter de quoi manger. Après s’être arrêté aux devantures de plusieurs boutiques, il déclara qu’une tasse de thé chaud avec une des brioches qu’il avait vues marquées « deux sous », à une vitrine, étaient le meilleur repas qu’il put avoir à bon compte.

Il entra donc dans la boutique, et, s’asseyant à une des petites tables, il commanda son repas.

Tramp et lui partagèrent également. Jock garda la tasse pour lui, donna la soucoupe au chien, et cassa la brioche en deux morceaux.

A. Decker, d’après E. Hohler.

(La suite prochainement.)

LE GÉANT DE L’AZUR
Par ANDRÉ LAURIE

XVIII

Ceylan la parfumée.


Pareille à une corbeille de fleurs, « l’île des épices » s’étendait sous les yeux des voyageurs. Son parfum montait jusqu’à eux, ainsi que l’encens d’une cassolette géante ; la douce senteur de ses milliers de roses, de jasmins, de tubéreuses, de lotus, de grands lis, d’orangers, de citronniers, de grenadiers, se mélangeait avec les émanations plus âpres des poivriers, des câpriers, des girofliers en fleur, de cent autres essences dont la combinaison caractéristique fait reconnaître à plusieurs lieues en mer le voisinage de Ceylan.

Il fallait attendre la nuit pour tenter de se poser en lieu sûr, et, jusqu’à ce que vînt l’obscurité propice, Henri dut se contenter de planer à une grande hauteur, se contraignant de son mieux pour ne rien laisser percer de son impatience ; Gérard, aussi désireux que lui de voir fuir les heures, observait la même maîtrise de soi ; quant à Djaldi, depuis que l’île était en vue, il semblait avoir perdu la tête. Penché au-dessus du bord, il saluait d’exclamations délirantes la terre qui lui avait donné le jour, et que la curiosité, l’amour des aventures lui avaient fait abandonner sottement. Combien il maudissait ce jour néfaste !… Il en redisait avec volubilité tous les détails… Un grand paquebot était venu toucher à Colombo, en route pour la Chine, et Djaldi, amené par exceptionnelle faveur dans le grand port par son père, avait manifesté un désir violent de visiter le beau navire ; mais le père, pauvre interprète et guide des étrangers à Ceylan, avait bien autre chose à penser que de visiter des paquebots et ne donna pas la moindre attention à la requête de Djaldi. Alors, dans le cœur un peu volontaire de l’enfant, le projet de voir malgré tout le grand navire s’était affirmé, et profitant d’un instant où, arrêté avec un bonze de sa connaissance, son père se confondait en salutations et politesses, le petit mécréant s’était dérobé, et, se glissant comme une anguille à travers l’encombrement du port, était arrivé sur le paquebot objet de son admiration.

Hélas ! que de larmes lui avait coûté ce mouvement de désobéissance — sans compter celles qu’on avait dû verser là-bas dans l’humble demeure de L’interprète !