Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/688

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
296
JULES VERNE

tenta de la carguer, quitte à la rétablir si le vent mollissait aux approches du jour.

Et, maintenant, l’Alert, sous cette voilure, courait à la surface de l’océan. Il donnait parfois une bande effrayante, recevant des paquets de mer qui inondaient le pont jusqu’à la dunette, Will Mitz, debout à la barre, le redressait d’un bras vigoureux, avec l’aide de l’un ou de l’autre des jeunes garçons.

Cette allure put être conservée toute la nuit, et Will Mitz ne crut même pas devoir virer de bord avant le lever du soleil. La bordée vers le nord-est, qu’il avait prise après avoir diminué de toile, se continua jusqu’au jour.

Lorsque l’aube reparut, si Will Mitz n’avait pas quitté le pont, les jeunes garçons, après s’être relayés de quatre heures en quatre heures, s’étaient reposés quelques heures.

Dès que l’horizon fut dégagé du côté du vent, Will Mitz le parcourut du regard. C’était de là que pouvait venir le danger. L’aspect du ciel n’avait rien de satisfaisant. Si le vent n’avait pas fraîchi pendant la nuit, s’il se tenait à l’état de grande brise, aucun symptôme n’indiquait un prochain apaisement. Il fallait aussi craindre des pluies violentes et des rafales contre lesquelles il y aurait certaines précautions à prendre. Peut-être serait-il nécessaire de tenir la cape, afin de mieux résister en présentant le navire debout à la lame. Au lieu de faire bonne route, l’Alert perdrait alors plus qu’il ne gagnerait en direction des Antilles.

Bientôt les rafales se déchaînaient, faisant claquer les huniers et menaçant de les mettre en lambeaux. Si M. Patterson ne put sortir du carré, les autres, vêtus de capotes cirées, coiffés de surouets, restèrent sur le pont à la disposition de Will Mitz. Cette eau qui tombait à torrents, ils la recueillirent dans des bailles pour n’en point manquer, dans le cas où l’Alert serait entraîné plus au large en fuyant devant la tempête.

Dans la matinée, au prix d’efforts inouïs, Will Mitz parvint à courir une bordée au sud-ouest, ce qui le maintenait en latitude des Antilles, et, suivant son estime, à la hauteur de la Barbade, dans la partie médiane de l’archipel.

Il espérait donc pouvoir garder ses huniers à deux ris, sa brigantine et son grand foc, lorsque, l’après-midi, le vent prit plus de force, en halant un peu le nord-ouest.

La bande que donnait l’Alert était parfois si considérable, que l’extrémité de la grande vergue affleurait la crête des lames, et des coups de mer le couvraient en grand.

Ils devaient se dire, en bas, Harry Markel et ses compagnons, que les choses allaient mal en haut, que le bâtiment était aux prises avec la tourmente, que Will Mitz ne pourrait gouverner… Lorsqu’il serait en perdition, peut-être faudrait-il recourir à eux ?… Ils se trompaient, et l’Alert sombrerait sous voiles, se perdrait corps et biens, plutôt que de retomber entre les mains de ces bandits !…

Will Mitz ne défaillit pas en ces terribles circonstances, et, d’autre part, il semblait que les jeunes passagers ne voulussent pas voir le péril. Aux ordres qui leur furent donnés, ils obéirent avec autant de courage que d’adresse, lorsqu’il devint indispensable de diminuer la voilure.

Le grand hunier fut amené et serré ; la brigantine également. L’Alert resta sous son petit hunier au bas ris, — opération que facilitait le système des doubles vergues dont le navire était pourvu. À l’avant, Will Mitz fit hisser un des focs, et, à l’arrière, au mât d’artimon, un tourmentin triangulaire, assez solide pour résister à la violence de l’ouragan.

Et toujours l’immensité déserte !… Pas une voile au large !… Et d’ailleurs, eût-il été possible d’accoster un navire, de mettre une embarcation à la mer ?…

Will Mitz vit bientôt qu’il faudrait renoncer à lutter contre le vent. Impossible de se maintenir ni au plus près, ni à la cape. Mais l’Alert