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BOURSES DE VOYAGE

Nul doute que Harry Markel, John Carpenter, les autres, n’eussent compris ce qui se passait. L’allure du trois-mâts ayant changé, il roulait, n’étant plus appuyé comme sous l’allure du plus près. Puis des coups de feu éclataient à bord.

Il y avait donc un navire en vue, avec lequel l’Alert essayait de communiquer…

Ces misérables, se croyant perdus, redoublèrent leurs efforts pour s’échapper de la cale. Des coups violents retentirent sur les parois du poste, contre les panneaux du pont. Des hurlements de colère les accompagnaient. D’ailleurs, au premier qui eût paru, Will Mitz eût cassé la tête d’une balle de revolver.

Par malheur, la chance ne se déclara pas pour les passagers de l’Alert. On ne vit rien de leurs signaux, on n’entendit rien de leurs décharges. Une demi-heure plus tard, le steamer, éloigné de cinq à six milles, disparaissait à l’horizon.

Will Mitz, revenant au vent, reprit alors sa bordée vers le sud-ouest.

Pendant l’après-midi, l’Alert ne fit que louvoyer en gagnant peu. L’apparence du ciel n’était point rassurante. Les nuages s’épaississaient au couchant, le vent fraîchissait, la mer devenait très dure, et les lames commençaient à déferler au-dessus du gaillard d’avant. S’il ne survenait pas quelque accalmie, Will Mitz ne pourrait pas continuer à tenir le plus près, à moins de diminuer la voilure. Il était donc de plus en plus inquiet, tout en s’efforçant de dissimuler son inquiétude. Mais Louis Clodion, Roger Hinsdale, les plus sérieux, sentaient bien ce qui se passait en lui. Quand ils le regardaient et l’interrogeaient des yeux, Will Mitz détournait la tête.

La nuit qui s’approchait menaçait d’être mauvaise. Il devint nécessaire de prendre deux ris dans les huniers, un ris dans la misaine et la brigantine. Cette opération, difficile de jour avec cet équipage improvisé, le serait davantage dans l’ombre. Il fallait manœuvrer de manière à ne point être surpris, tout en résistant à cette violente brise mêlée de rafales.

En effet, que serait-il arrivé si l’Alert était rejeté dans l’est ?… Jusqu’où l’entraînerait une tempête qui durerait plusieurs jours ?… Aucune terre dans ces parages, si ce n’est, plus au nord-est, ces dangereuses Bermudes où le trois-mâts avait déjà essuyé ces gros temps qui l’avaient obligé de fuir vent arrière ? … Irait-il se perdre au delà de l’Atlantique, sur les récifs de la côte africaine ?…

Donc nécessité de résister, et tant que le navire pourrait se tenir, soit au plus près, soit même à la cape, dans le voisinage des Antilles. Puis, la tourmente passée, les alizés reprenant le dessus, l’Alert regagnerait les quelques jours de retard.

Will Mitz expliqua ce dont il s’agissait. Alors que les voiles détonnaient comme des pièces d’artillerie, on s’occuperait d’abord du petit hunier, puis du grand hunier. Magnus Anders, Tony Renault, Louis Clodion, Axel Wickborn, suivraient Will Mitz sur les vergues, ayant soin de ne pas lâcher la main, et, après avoir ramené la toile à eux, ils amarreraient les garcettes.

Quand ils seraient redescendus, tous se mettraient sur les drisses et hisseraient les vergues à bloc.

Albertus Leuwen, Hubert Perkins, se tiendraient à la roue du gouvernail, et Will Mitz leur indiqua comment ils devaient la manœuvrer. L’opération commença. Après de grands efforts, deux ris étaient pris dans le petit hunier, lequel, une fois solidement étarqué d’en bas, fut orienté au plus près.

Il en fut de même pour le grand hunier.

Quant à la brigantine, il n’y eut point à monter aux barres d’artimon, mais seulement à enrouler la partie inférieure de la voile sur le gui.

En ce qui concerne la misaine, on se con-