Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/684

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
292
JULES VERNE

vergues, les écoutes de la misaine, des huniers, de la brigantine et des focs. L’Alert, orienté pour sa première bordée, cap au nord-est, appuyé sur tribord, marcha rapidement dans cette direction.

Nul doute que, dans la cale où ils étaient renfermés, Harry Markel et les siens n’eussent reconnu que le navire, ayant vent contraire, s’éloignait des Antilles. Or, ce retard ne pouvait que tourner à leur avantage.

Vers six heures du soir, Will Mitz jugea que l’Alert s’était assez élevé au nord-est, et, pour mieux utiliser les courants, il résolut de tirer une bordée vers le sud-ouest.

C’était, de toutes les manœuvres, celle dont il s’inquiétait le plus. Virer vent devant est une opération qui exige une grande précision de mouvements dans le brassage des vergues. Il est vrai, l’Alert aurait pu virer en arrière ; mais ce serait plus long, sans parler du risque de recevoir quelques mauvais coups de mer. Heureusement, la houle n’était pas trop dure. On borda la brigantine, la barre dessous, puis, les écoutes larguées à propos, la misaine et le petit hunier reçurent le vent par tribord. L’abattée se fit après une courte hésitation, et, ses voiles amurées de nouveau, le navire cingla dans la direction du sud-ouest.

« Bien… bien…, mes jeunes messieurs !…, s’écria Will Mitz, lorsque l’opération fut terminée. Vous avez manœuvré comme de vrais matelots…

— Sous les ordres d’un bon capitaine ! » répondit Louis Clodion au nom de tous ses camarades.

Et si, de la cale ou du poste, Harry Markel, John Carpenter et les autres se rendirent compte que l’Alert avait repris une autre bordée, on imagine aisément à quel accès de rage ils s’abandonnèrent !

Le dîner, rapidement expédié comme l’avait été le déjeuner, quelques tasses de thé préparées par Tony Renault le complétèrent.

Cela fait, M. Patterson ne tarda pas à rentrer dans sa cabine, car il ne pouvait être d’aucune utilité.

Alors Will Mitz s’occupa de partager les quarts pour la nuit entre Louis Clodion et ses camarades.

Il fut convenu que cinq d’entre eux resteraient sur le pont, tandis que les cinq autres prendraient quelque repos. Ils se relèveraient de quatre en quatre heures, et, s’il était nécessaire de virer de bord avant le jour, tous viendraient donner la main à la manœuvre.

D’ailleurs, pendant le quart, ils surveilleraient le capot et les panneaux, de façon à prévenir toute surprise.

Les choses ainsi réglées, Roger Hinsdale, Niels Harboe, Albertus Leuwen, Louis Clodion, rentrèrent dans le carré et se jetèrent tout habillés sur leurs cadres. Magnus Anders, au gouvernail, suivit les indications que lui donnait Will Mitz. Niels Harboe, Hubert Perkins, se placèrent à l’avant. Axel Wickborn et John Howard restèrent au pied du grand mât.

Will Mitz, lui, allait et venait, ayant l’œil à tout, mollissant ou raidissant les écoutes suivant les demandes de la brise, prenant la barre lorsqu’il la fallait tenir d’une main ferme et expérimentée, — bref, capitaine, maître, gabier, timonier, matelot, selon les circonstances.

Les quarts se succédèrent comme il avait été décidé. Ceux qui avaient dormi quelques heures vinrent remplacer leurs camarades à l’avant et à l’arrière.

Quant à Will Mitz, il voulut demeurer sur pied jusqu’au matin.

Après une nuit sans incidents, l’orage qui menaçait s’étant dissipé, le vent continua de souffler en petite brise. Il n’y eut donc pas lieu de diminuer la voilure, — opération difficile au milieu de l’obscurité.

Quant à ce qui se passait à l’intérieur du poste et de la cale, ni Harry Markel ni ses compagnons ne firent aucune tentative pour reprendre possession du navire. Même la