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JACQUES LERMONT

ches à l’intention de sa sœur. Et, le soleil étant très ardent, la mer belle, comme il y avait, à gauche, une sorte de petite pelouse naturelle, rendue toute verte par le voisinage de l’eau, fraîche et tentante, Yves s’y était étendu au soleil. Les rayons le gênaient ; il songea à se mettre à l’abri sous une épaisse couverture de ronces dont la chevelure tombait du sommet du roc. Il souleva donc cette chevelure et aperçut quelque chose qui aurait grandement effrayé un petit Parisien de nos jours, mais qui excita sa convoitise et éveilla ses instincts de petit chasseur en herbe, fils du chevalier de Valjacquelein : c’était un serpent  ! mais un serpent qu’il savait inoffensif : la plus petite espèce de couleuvre. Une bête jolie, qu’on peut apprivoiser facilement, qui tend bientôt la tête pour qu’on la caresse, avec qui on cherche des mouches, des colimaçons qu’elle vient manger dans la main. C’était un orvet. Le reptile dormait la tête appuyée sur une pierre ; Yves chercha tout doucement dans sa poche un bout de ficelle (il en avait toujours) et fit un nœud coulant, très vite, puis, traîtreusement, il allongea le bras dans l’intention de passer le nœud autour de l’endormie, qui se serait réveillée captive. Mais les couleuvres ont l’ouïe fine. Celle-ci ouvrit les yeux et se déplaça aussitôt. Puis, elle commença à glisser avec lenteur le petit tire-bouchon de son corps, filant entre les mousses et les cailloux du côté de la paroi du rocher. On pense si Yvonnaïk renonça à la poursuite ! À plat ventre, sur les genoux, il suivit la bête. Empêtré dans la chevelure de ronces, il la manqua plusieurs fois, sa main s’abattant au moment où la fugitive disparaissait. Il avançait toujours. Il arriva vers une cavité en retrait tout à fait cachée derrière une forêt de plantes grimpantes et de vieilles ronces sèches. Par là, mademoiselle la couleuvre disparut. Yves ne se tint pas pour battu. Cette ouverture n’était pas trop étroite, même pour le passage d’un corps moins fluet que celui du jeune garçon : il s’y laissa glisser, curieux d’ailleurs de voir jusqu’où allait ce couloir. Hélas ! les serpents ont toujours ce rôle de tentateur, ils nous mènent au malheur par des chemins étroits… Celui-ci ne faillit point à la tradition, comme on verra.

Au grand étonnement d’Yves, le couloir allait s’élargissant, de plus en plus sombre. L’orvet avait disparu dans une mince fissure, mais ce n’était plus lui qui intéressait notre explorateur. Il s’était accroupi et avançait à croupetons sous la voûte creusée, lorsque apparut le rebord d’un véritable trou. Yves était prudent : il se demanda si, dans ce trou, il n’y avait pas tout simplement de l’eau. Il pencha la tête, tendit le bras et ne rencontra que le vide. Voulant se rendre compte, il ressortit, coupa, avec son couteau, un long brin de ronce et le fit pendre par le gros bout dans l’orifice. Quand il retira sa sonde, elle n’était point mouillée ; et, de plus, il avait senti un fond de pierres. Dans ces conditions, Yvon se dit qu’il n’y avait probablement pas de danger à s’y introduire en y laissant pendre ses jambes. Ce qu’il fit, tout en se retenant par les mains à la margelle de cette espèce de puits sans eau. Son pied avait rencontré une pierre assez large qui ressemblait réellement à une marche. Yvon était reste là quelque temps sans bouger pour s’habituer à la demi-obscurité, et, en se penchant, il avait aperçu une deuxième pierre formant également marche, et un terrain ferme, qui n’était pas à une très grande profondeur, où, évidemment, il pouvait parvenir en plaçant son pied sur le deuxième point d’appui.

C’est ainsi qu’il pénétra dans cette caverne. Comme elle était obscure et qu’en portant les mains devant lui il n’avait senti que du vide, il n’avait pas osé pousser plus loin sa reconnaissance des lieux, mais, une heure après, il était de retour avec une chandelle et un briquet (il n’était pas question d’allumettes à