Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette machine… Le maniement en est simple. Tu vois ce disque ; ces poignées noires ou blanches, marquées est, ouest, nord, sud, haut, bas, etc. Appuie sur l’une ou l’autre ; augmente ou diminue la pression, selon que tu veux accélérer ou ralentir la marche. Tout est là !

— Ce n’est pas bien malin. Je me charge d’exécuter ce petit morceau. Je le trouverai moins difficile à jouer que la Sonate pathétique

— Sans aucun doute, dit Henri en souriant ; mais les conséquences d’une fausse note seraient ici beaucoup plus graves.

— Bon ! bon ! On veillera… Va dormir, je t’en supplie… Mais qu’est ceci ? fit soudain Gérard attentif. Qu’est-ce donc qui nous arrive par là-bas du côté de l’ouest ? Ne dirait-on pas que nous avons deux soleils aujourd’hui, et que celui-ci a jugé à propos de se lever du côté de l’Occident ? »

En effet, dans le lointain, à gauche, une lueur étrange embrasait le ciel, gagnait à chaque seconde en intensité et en étendue. À peine Gérard avait-il fini de parler que la mer rougeoyante présentait l’aspect d’un vaste incendie. Bientôt un grondement sourd, quelques zigzags de feu, sillonnant les nuages, des bouffées violentes d’air embrasé, indiquaient clairement l’approche de la tempête.

« Un orage ! s’écria Gérard, non sans une certaine satisfaction. J’en avais la nostalgie. C’est le premier, sais-tu, depuis deux mois…

— Oui ; une belle tempête, comme il en souffle chez nous au temps de la mousson, dit, non moins satisfait, le petit Hindou, qui sortait de son long sommeil.

— Attention ! fit alors Henri, tout à fait réveillé. Il ne s’agit pas de se laisser gagner par ce « bel orage ». C’est un archigéant qui ne ferait de nous qu’une bouchée !…

— Que veux-tu faire ? demanda Gérard surpris.

— Obliquer sud-sud-est.

— Retourner sur nos pas ! Est-ce bien nécessaire ? Crois-tu que le sternum puissant de notre épiornis n’a pas bravé, en son temps, des convulsions autrement féroces que nos maigres tempêtes d’aujourd’hui ? s’écria Gérard, qui n’avait aucune envie de rebrousser chemin.

— Je ne sais… Possible… Mais, comme je n’ai pas la prétention de croire que les poumons d’acier dont Wéber l’a pourvu puissent rivaliser de tout point avec ceux que la grande nature primordiale lui avait donnés, nous ne risquerons pas l’épreuve. Nous allons, avec ta permission, exécuter le mouvement susdit… »

D’un doigt prudent et sûr, le jeune ingénieur appuie sur un levier spécial ; le moteur ralentit son allure ; alors Henri presse une seconde clef ; l’aviateur tourne lentement sur lui-même ; et, aussitôt qu’il est dans la position voulue, un troisième régulateur lui fait reprendre sa vitesse ; l’Epiornis s’envole à tire-d’aile vers le sud-est.

Il n’était que temps ! Avec une vélocité foudroyante, la tempête, se propageant de nuée en nuée, avait atteint la place même où se trouvait tout à l’heure l’Epiornis, une portion de l’espace dont elle paraissait à ce moment être à mille lieues. Heureusement, elle prend le ciel en écharpe de l’ouest à l’est, sans dévier de son impulsion première et, par leur mouvement vers le sud, nos voyageurs se sont mis en dehors de ses fureurs. Ils en ressentent pourtant quelques atteintes, tout en fuyant. Des fouettées de vent, des grêlons dispersés, un reste d’averse diluvienne, extrême queue de la furieuse tourmente qui balaie le ciel, leur arrivent de temps en temps au milieu du fracas de plus en plus assourdi du tonnerre, comme pour souligner le danger auquel ils viennent d’échapper.

Peu à peu l’Épiornis a gagné une zone plus calme. Le ciel est plus terne, l’air plus frais.

« Tu nous as tirés d’un fameux guêpier, dit Gérard, et je reconnais volontiers que mon