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— J’espère qu’il en sera ainsi, mon enfant. Promets-moi aussi que tu travailleras pour l’art, non pour l’argent, ni la renommée, si ta situation t’apporte un jour l’indépendance. »

Jock promit de mettre ce conseil en pratique. Le lendemain était le dernier jour de sa visite à Gray-Tors ; il commença à se rendre compte de l’importance du sacrifice qu’il s’était imposé.

Son départ sembla désappointer le vieux notaire. M. Harrison ne pouvait comprendre pourquoi l’enfant retournait à sa pauvre école ; il attribuait la conduite du vieillard à quelque peccadille de Jock ou à son défaut d’amabilité.

Jock brillait de lui raconter que son vieil oncle l’avait assez aimé pour lui proposer une adoption complète. Il eut un effort à faire pour écouter en silence les observations de son vieil ami ; il ne voulait pas qu’une parole imprudente pût le trahir près de sa mère.

Il prit un air boudeur en écoutant les récriminations de M. Harrison. En réalité son cœur était triste à la pensée des blâmes immérités qu’il aurait à subir.

Il partit à la recherche de Molly. La manière dont sa petite amie accueillit la nouvelle qu’il apportait calma un peu son âme blessée. Elle versa des torrents de larmes et refusa d’être consolée. À la fin, Jock se rappela que son oncle lui avait donné une livre (25 francs) en lui permettant de la dépenser comme il voudrait. À discuter sur l’emploi qu’il en ferait, la petite fille oublia son chagrin pour quelques instants, et consentit à accompagner son ami dans les magasins.

Elle s’intéressa beaucoup à l’achat de la grande poupée de cire que Jock destinait à Doris, quoiqu’elle dédaignât ces jeux pour elle-même et trouvât qu’une enfant capable d’occupations pareilles était une compagne bien médiocre pour son ami.

Après avoir visité tous les magasins à la recherche d’un cadeau pour sa mère, et ne trouvant rien de convenable, Jock se décida à employer le reste de son argent à l’achat d’une robe qu’il avait autrefois promise à Doris.

Il aurait voulu une robe toute faite et fut un peu déconcerté en constatant qu’il ne lui restait que le prix de l’étoffe. Avec l’approbation de Molly, il choisit une indienne bleu de ciel, et se réjouit du plaisir qu’aurait sa sœur en voyant ces trésors.

Quand arriva le moment des adieux (car il fallait être à Gray-Tors pour l’heure du dîner) Jock éprouva fortement le besoin de se confier à quelqu’un. Après avoir fait promettre à sa petite amie de garder le secret, il lui fit le récit de son entretien de la veille avec son oncle.

Molly l’écoutait pleine de sympathie et d’admiration, tout en déplorant son départ de Grav-Tors, et son retour là-bas, chez lui, dans le sud, à une distance effrayante pour la petite fille qui n’avait jamais été jusqu’à Londres.

Après la promesse de Molly d’écrire très souvent, et celle de Jock de répondre exactement, les enfants se séparèrent ; Jock pour passer ce dernier après-midi en compagnie de son oncle, Molly pour pleurer à chaudes larmes dans sa retraite favorite.

Ce soir-là, M. Grimshaw s’informa auprès de son neveu de la façon dont celui-ci avait dépensé son argent. Jock très fier lui énuméra ses emplettes ; son oncle tira une pièce de sa poche et la lui tendit ;

« Prends ceci, lui dit-il ; garde-le jusqu’à ce que tu en aies besoin ; souviens-toi de le dépenser pour toi seul. »

Jock étonné prit la pièce, remercia son oncle, et lui promit de se souvenir de sa recommandation.

Ainsi se passa le dernier soir à Gray-Tors. Puis M. Grimshaw dit un affectueux bonsoir à l’enfant, qui monta tristement se coucher. Penché, un moment, à la fenêtre de l’escalier, il humait l’air vif des landes, se demandant com-