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C’est impossible, s’écria Jock qui avait écouté son oncle, la respiration haletante et les yeux pleins d’angoisse. J’ai promis de prendre soin de maman et de Doris ; je ne peux les abandonner.

— Réfléchis encore avant ton dernier mot. Es-tu sûr que ta mère ne regretterait pas un refus de ta part ? Avant de prendre une détermination, demande-lui son avis.

— Ni elle ni personne ne me conseillera à cet égard, je ne consulterai personne.

— Alors, tu as pris ton parti ? Je croyais que tu te trouvais bien ici. Puisque tu veux gagner beaucoup d’argent, il te faudra renoncer à faire de grandes choses. »

Jock étouffa un sanglot et garda un instant le silence en promenant ses regards sur la lande qu’il avait appris à tant aimer pendant les dernières semaines. Puis il tourna vers son oncle un regard triste quoique déterminé.

« Si nous avez raison (et vous devez savoir ces choses mieux que moi), je renoncerai à me rendre illustre, car il faut que je tienne à la parole que j’ai donnée à mon père : advienne que pourra. Mais vous ne serez pas fâché contre moi, n’est-ce pas ? ajouta-t-il. Personne ne m’a semblé si bon que vous ; si vous cessiez de m’aimer, je ne sais ce que je deviendrais. »

À ces mots, les larmes qu’il avait refoulées lui remplirent les yeux ; il cacha son visage sur le bras de son oncle.

M. Grimshaw caressa la tête de l’enfant en lui disant :

« Non, je ne suis pas fâché, mais seulement un peu déçu. J’aurais voulu te garder toujours près de moi. Peut-être aurais-je regretté que tu fusses resté, car tu n’aurais pas été le vrai fils de ton père si tu avais failli à ton devoir.

— Venez nous voir aux prochaines vacances, nous en serions si heureux, murmura l’enfant.

— Peut-être ; mais je ne peux te le promettre : je suis vieux, et quelquefois très fatigué. Pourtant je ne t’oublierai pas ; je me souviendrai que tu aimes Beggarmoor, et que tu désires en être le maître. Je voudrais voir la figure que feraient ta mère et M. Harrison en apprenant que la seule chose que tu convoites de mes possessions est une modeste chaumière et un coin de terre inculte. »

Le vieillard reprit son rire sarcastique.

« Moi aussi, j’ai été jeune, dit-il. En ce temps-là je voulais faire quelque chose. Puis la richesse est venue, et, avec elle, le goût du bien-être ; mon ardeur s’est ainsi évanouie. Aujourd’hui que je suis un vieillard, je donnerais volontiers toutes les joies de ma vie pour éprouver le bonheur d’avoir fait quelque bien. Puisses-tu, mon enfant, ignorer toujours pareille angoisse !

— J’essayerai », répondit Jock doucement.

Il était impressionné par l’accent du vieillard, bien qu’il ne comprit qu’imparfaitement ses paroles. Il ajouta :

« Je me souviendrai de ce que vous me dites. Tramp et moi, nous penserons souvent à vous.