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JOCK ET SES AMIS
Par A. DECKER, d’après E. HOHLER

VI

Jock tient sa promesse.


« Jock, viens ici : j’ai à te causer. »

C’était M. Grimshaw qui parlait ainsi.

Le vieillard était assis dans son fauteuil, tout près de la fenêtre ouverte de la bibliothèque. L’enfant obéit à son appel. Comme il s’approchait, il remarqua l’air grave du vieux monsieur qui, les sourcils froncés, dépliait fébrilement une lettre.

« C’est une lettre de ta mère, dit-il, je l’ai reçue ce matin. Tes vacances finissent la semaine prochaine ; elle désire te revoir samedi au plus tard, pour que tu sois présent à l’ouverture des classes. »

Le visage de Jock s’attrista.

« Oh ! quel malheur ! s’écria-t-il, Tramp et moi nous étions si heureux ici !

— Je suis fâché aussi, mon enfant. Ton départ est le premier qui m’afflige depuis bien des années ; et la voix de l’oncle s’était faite très douce. Assieds-toi là, de manière que mes yeux puissent te bien voir ; j’ai plusieurs choses à te demander. Tout d’abord, raconte-moi ce que ta mère t’a dit avant de t’envoyer ici. T’a-t-elle averti de mon mauvais caractère, ou s’est-elle bornée à te donner des conseils pour ta propre conduite ?

— Elle m’a recommandé de ne manquer à aucun de mes devoirs ; elle espérait que vous me témoigneriez un peu d’affection en souvenir des sentiments que vous avait inspirés mon père… »

Ici Jock s’arrêta et devint très rouge.

« Et elle croyait que, si je te prenais en affection, je pourrais faire quelque chose pour toi. T’enlever de ses mains, peut-être, hein ? » dit le vieux monsieur d’un ton sarcastique.

C’était si exactement ce que sa mère lui avait dit, que Jock se contenta de baisser la tête en silence.

« Je le pensais, continua son vieil oncle, mais une déception l’attend. Je n’ai jamais eu l’intention de rien faire pour toi. Supposons que je t’envoie maintenant dans un grand collège, à quoi cela te servirait-il ? Je suis un vieillard, je n’ai plus que peu de temps à vivre, et quoi que puisse penser ta mère, je ne laisserai que peu de chose en mourant ; à part quelques fermes sans valeur, le reste de mon bien revient à mon neveu propre, que je le veuille ou non.

— Je ne comptais sur rien de vous, s’écria Jock désolé. J’espère que vous ne mourrez pas de sitôt, et que Dieu vous accordera la faveur d’entendre parler des grandes choses que je ferai. Alors je prendrai soin de maman et de Doris.

— Mon enfant, voilà où tu te trompes, répliqua M. Grimshaw ; si tu es chargé de faire vivre les autres, tu ne seras jamais grand dans aucune profession, car il faudra t’employer à gagner de l’argent, et non à travailler pour l’art ; je t’aime sincèrement ; si tu veux rester chez moi, je te traiterai comme mon propre fils, et à ma mort je ferai pour toi tout ce que je pourrai. Tu entreras dans un collège et, puisque tu ne veux pas être soldat, selon mes désirs, tu seras ingénieur. Mais je ne peux faire cela qu’à une condition : c’est que tu deviennes mon propre fils. Tu iras voir ta mère de temps en temps, mais elle n’aura pas à compter sur ton travail. Si je pourvois à ton éducation, je veux être fier de toi et je sais que le succès n’est assuré qu’à ceux qui travaillent sans entraves. Me comprends-tu ? Acceptes-tu mes conditions ?