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MICHEL ANTAR

par des vents contraires, si nous arrivons aux Guyanes ou dans l’un des ports des États-Unis…

— Et ! que diable, riposta Tony Renault, nous finirons bien par accoster l’une ou l’autre des deux Amériques, entre le cap Horn et la Nouvelle-Angleterre…

— En effet, monsieur Tony, conclut Will Mitz. Seulement il ne faut pas que l’Alert reste encalminé à cette place !… Vienne la brise et fasse Dieu qu’elle nous soit favorable ! »

Et il ne suffisait pas que le vent fut favorable, il importait non moins qu’il ne fût pas trop violent. Rude et difficile tâche pour Will Mitz d’avoir à manœuvrer avec un équipage de jeunes garçons, étrangers à la pratique, n’en sachant que le peu qu’ils avaient pu voir durant la traversée d’Europe aux Antilles. Et que ferait Will Mitz, s’il fallait opérer avec rapidité, virer vent devant ou vent arrière, en cas qu’il y eût des bords à courir, des ris à prendre, si quelque ouragan risquait de compromettre la mâture ?… Comment parer à toutes les éventualités qui peuvent se produire au milieu de parages si fréquemment visités par les cyclones et les tempêtes ?…

Et peut-être Harry Markel comptait-il sur l’embarras où serait Will Mitz : ce n’était qu’un matelot, intelligent, énergique, mais incapable de relever sa position avec quelque exactitude ! Si les circonstances devenaient critiques, si des vents d’ouest rejetaient l’Alert au large, si une tempête menaçait de le désemparer, s’il se trouvait en perdition, Will Mitz ne se verrait-il pas contraint de recourir à Markel, à ses compagnons, et alors…

Cela, jamais ! Will Mitz suffirait à tout avec l’aide des jeunes passagers… Il ne conserverait de la voilure que les voiles facilement manœuvrables, dût-il retarder l’arrivée de l’Alert !… Non ! plutôt périr que de recourir à l’assistance de ces misérables, que de retomber entre leurs mains !

Du reste, on n’en était pas là, et, en somme, que demandait Will Mitz ?… Trente-six heures, quarante-huit heures au plus d’une brise moyenne de l’est, une mer maniable… Était-ce donc trop espérer de ces parages où les alizés règnent d’ordinaire ?…

Jules Verne.

(La suite prochainement.)


KSOUR ET OASIS[1]

CHEVAUCHÉES D’UN FUTUR SAINT-CYRIEN À TRAVERS LE SUD-ORANAIS

X

Chez le caïd Slimane. — Chasse aux mouflons.


26 novembre. — Au sortir d’El Abiod, quitté « pour de bon » cette fois, nous nous dirigeons vers le campement de Slimane, situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest des Arbaouat.

Il avait plu abondamment durant la nuit. Du sol mouillé, qui séchait au soleil levant, s’échappait, comme d’une étoffe trempée dont l’eau s’évapore, une buée légère d’abord, mais bientôt changée en brouillard épais. Pour cette raison il nous fut impossible, au moment d’entrer dans les montagnes des ksour, de distinguer une dernière fois, en nous retournant, les coupoles de la ville sainte des Oulad Sidi Cheikh.

Le terrain un peu glissant et le pays très accidenté ne nous permettant pas de trotter, nous nous trouvions, vers onze heures, encore assez loin des Oulad Abd el Krimm. Slimane,

  1. Voir les nos 180 et suivants.