Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
263
BOURSES DE VOYAGE

En même temps la brise fraîchissait légèrement, sans s’établir à un point quelconque du compas. Les voiles, telles qu’elles étaient orientées alors, ne pouvaient que maintenir le trois-mâts en panne.

Ainsi la tentative de Will Mitz avait réussi. Ses jeunes compagnons ci lui étaient maîtres de l’Alert !

Quand à ce navire à bord duquel ils comptaient chercher refuge, à cinq ou six milles déjà dans l’ouest, il ne tarderait pas à disparaître.

XI
Maîtres à bord.

Tel était le revirement dû au courage et à l’audace de Will Mitz. Les bonnes chances semblaient être maintenant du côté des honnêtes gens, les mauvaises du côté de ces malfaiteurs. Ce dernier crime, qui devait les débarrasser des passagers et de Will Mitz la nuit prochaine, ils seraient dans l’impuissance de le commettre.

N’était-ce pas eux, au contraire, dont les forfaits allaient être châtiés, qui seraient livrés à la police dès l’arrivée de l’Alert en un port quelconque de l’Antilie ou de l’Amérique, s’ils ne parvenaient pas à s’emparer une seconde fois du navire ?… Mais y parviendraient-ils ? …

Sans doute, ils étaient dix enfermés dans ce poste, — dix hommes robustes, contre lesquels Will Mitz et ses compagnons n’eussent pas lutté avec avantage. Après avoir démoli les cloisons qui séparaient le poste de la cale, n’arriveraient-ils pas à regagner le pont par les panneaux qui y donnaient accès ?… Assurément, ils feraient tout le possible pour recouvrer la liberté…

Tout d’abord Will Mitz remercia Dieu, le priant de leur continuer sa protection.

Les jeunes gens joignirent leur prière à la sienne. Homme de foi et de piété, cet honnête marin n’avait affaire ni à des ingrats ni à des incrédules, et une sincère effusion de reconnaissance s’échappa de leur cœur.

Quant à M. Horatio Patterson, on l’avait aidé à remonter sur le pont, sans qu’il fut sorti de son état d’inconscience. Se croyant sous l’influence d’un mauvais rêve, il regagna sa cabine. Cinq minutes après, il dormait de plus belle.

Le jour grandissait, et le soleil ne tarda pas à se lever derrière une bande d’épais nuages qui s’étendait du nord-est au sud-est. Will Mitz eût préféré un horizon nettoyé de vapeurs. Il craignait que le vent ne s’établit pas franchement de ce côté, d’autant plus qu’à l’opposé l’état du ciel présentait des symptômes de forte brise auxquels son instinct de marin ne pouvait se tromper.

Toute la question était là : si les alizés l’emportaient, ils seraient favorables à une rapide marche de l’Alert vers l’ouest en direction des Antilles.

Mais, avant d’appareiller, il convenait d’attendre que la brise se fût prononcée dans un sens ou dans l’autre. Intermittente jusqu’alors, elle n’eût pas permis d’installer la voilure.

La mer ne verdissait ni au levant ni au couchant. La boule, qui n’est qu’un balancement des eaux, oscillait sur place, imprimant au navire un roulis assez sensible.

Il importait, cependant, que la traversée se fît dans le plus court délai. La cale et la cambuse contenant des provisions pour plusieurs semaines, les passagers n’avaient point à redouter le manque de vivres et d’eau.

Il est vrai, comment pourvoir à la nourriture des prisonniers, si des calmes et des mauvais temps retardaient l’Alert ?… Le poste ne renfermait aucune provision… Dès ce premier jour, Harry Markel et les autres seraient en proie à la faim et à la soif… Faire passer à manger et à boire par la porte du