Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/653

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
261
BOURSES DE VOYAGE

quement pour se maintenir sur place. Will Mitz ne voulait pas s’éloigner davantage, ne sachant quelle direction suivre. D’ailleurs, au moment où le soleil reparaîtrait, il importait de ne pas être à une trop grande distance du navire, soit pour lui faire des signaux, soit pour essayer de le rejoindre, s’il se remettait en route.

À cette époque de l’équinoxe, dans la seconde moitié du mois de septembre, le jour n’apparaît guère avant six heures du matin. Il est vrai, dès cinq heures, si le brouillard se dissipait, un bâtiment serait assurément visible dans un rayon de trois à quatre milles.

Aussi, ce que Will Mitz devait désirer, ce dont il parlait avec Roger Hinsdale et Louis Clodion, avec Tony Renault, qui ne se laissait pas abattre, c’était que la brume vînt à s’élever avant l’aube.

« Non point sous l’action de la brise, ajoutait-il, car, si l’Alert s’éloignait, l’autre navire s’éloignerait également, et nous n’aurions plus autour de nous qu’une mer déserte ! »

Or, avec ce canot non ponté, très chargé, sans la possibilité d’y établir une voile, un canot que le moindre coup de mer mettrait en perdition, serait-il possible de regagner un port des Antilles ?… Will Mitz estimait que, pendant cette première journée de navigation, l’Alert devait s’être déplacé d’une soixantaine de milles dans le sud-est de la Barbade. Soixante milles, même avec une voilure, par bon vent et mer maniable, l’embarcation eût à peine franchi cette distance en quarante-huit heures !… Et pas de provisions à bord, ni eau ni vivres !… Le jour venu, la faim et la soif, comment les apaiser ?…

Une heure plus tard, brisés de fatigue, saisis d’un irrésistible besoin de dormir, la plupart des jeunes garçons, étendus sur les bancs, avaient succombé au sommeil. Si Louis Clodion et Roger Hinsdale résistaient encore, la nuit ne s’achèverait pas sans qu’ils eussent imité leurs camarades.

Will Mitz resterait donc seul à veiller. Et qui sait s’il ne se sentirait pas pris de désespoir devant tant de circonstances défavorables, tant de chances contraires ?

De fait, il n’était plus nécessaire de recourir aux avirons, si ce n’est pour étaler le courant en attendant, soit le lever du brouillard, soit le lever du jour.

Toutefois, il semblait bien que quelques souffles intermittents passaient à travers les vapeurs, et, bien que le calme reprit aussitôt, certains symptômes indiquaient le retour du vent à l’approche de l’aube.

Il était un peu plus de quatre heures, lorsqu’un choc se produisit. L’avant du canot venait de se heurter, légèrement il est vrai, contre un obstacle, et cet obstacle ne pouvait être que la coque d’un navire.

Était-ce celui que les fugitifs cherchaient inutilement depuis de si longues heures ?… Les uns s’étaient éveillés d’eux-mêmes, les autres avaient été réveillés par leurs camarades.

Will Mitz saisit un des avirons, afin de ranger la coque du bâtiment. L’embarcation l’avait accosté par l’arrière, et Will Mitz sentit les ferrures d’un gouvernail. Le canot se trouvait donc sous la voûte du navire, et, bien que la brume fût un peu moins épaisse, il n’avait pas dû être aperçu des hommes de quart.

Soudain, la main de Will Mitz saisit un cordage qui pendait de quatre à cinq pieds en dehors du couronnement.

Will Mitz reconnut ce cordage…

C’était l’amarre qu’il avait coupée lui-même, en s’éloignant, et ce navire c’était l’Alert !…

« L’Alert ! » répéta-t-il avec un geste de désespoir.

Ainsi, après avoir erré toute cette nuit, c’était vers l’Alert qu’une mauvaise chance les avait ramenés, et ils allaient retomber entre les mains d’Harry Markel !

Tous étaient atterrés, et des larmes s’échappaient de leurs yeux.