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SEMAINE DES ENFANTS

ne revoie mes pauvres parents ! Si je partais avec eux !… »

Elle s’arrêta au milieu de l’allée. Ses traits mobiles avaient pris une expression perplexe… Partir… maintenant qu’elle avait choisi… qu’on l’avait amenée, que son nid était prêt… qu’elle se trouvait si bien !…

Et la longue route dans la Russie morne, plate, aux espaces infinis, — des déserts, ces steppes ! — le village enfoui dans la montagne, sous la neige, des mois ! cette langue inconnue, ces demeures que la rigueur de la température obligeait à tenir fermées tout l’hiver, la menace des loups qu’on disait si nombreux, si hardis, et dont le voisinage rendait la moindre promenade en traîneau périlleuse, tout ce que lui avait raconté sa mère lui revenait…

Elle secoua la tête et murmura à demi voix, comme si elle eût senti le besoin de se présenter à elle-même des raisons plus valables :

« L’heure est passée de changer de résolution : j’ai voulu venir ; je dois rester. »

P. Perrault.

(La suite prochainement.)

LA BELLE VIOLETTE !



Le front appuyé à l’immense vitre de la devanture, Jean contemple, admire, dévore des yeux les bonbons qui forment l’étalage d’un élégant confiseur parisien. Ils sont là, en face de lui, si proches, et aussi inaccessibles qu’aux antipodes. Sur des plateaux de cristal s’étagent les pyramides régulières des fondants. Ici les roses si délicieusement parfumés, là les verts à la pistache, plus loin les blancs, les mauves, les « fourrés », avec toutes les surprises de leurs diverses saveurs. Voici les « chocolats » crémeux à la fine odeur de vanille, les « pralinés », les « noisettes » et les « nougatines » si alléchants dans leurs coupes de porcelaines artistiques.

Sûrement, pour rester si longtemps en extase devant ces friandises, Jean est un enfant très gourmand. Sans doute il revit ses régals passés et fait mentalement son choix pour le prochain Noël. Fi, monsieur, que c’est laid !…

Hélas ! Jean n’est coupable de rien de tout cela. Il serait bien en peine de se rappeler le goût des bonbons… il n’en a jamais mangé !… Quant au Noël prochain, comme les dix précédents Noël de sa jeune vie, il ne lui apportera la faculté d’aucun choix…

Jean est un pauvre petit marchand de violettes, l’aîné d’une misérable famille. Son chétif commerce forme pour l’heure tout le revenu de la maison. Il n’a plus de père, sa mère est malade depuis de longs mois et ses deux petits frères sont trop jeunes pour gagner quoi que ce soit. Tous quatre manquent souvent de pain… Comment Jean connaîtrait-il la saveur des bonbons qui sont là… de ces gâteries raffinées faites pour les bourses opulentes ? Des voisins, ou des camarades plus favorisés, lui ont parfois donné de naïves sucreries aux couleurs violentes, qui lui ont paru exquises. Ces humbles produits différent cependant autant des fondants et des chocolats somptueux que le pain noir s’éloigne du gruau doré et croustillant comme du biscuit.

Avec un soupir où il n’entre nulle amertume, seulement un instinctif regret de l’impossible, Jean quitte la vitrine du confiseur. Sa bonne petite nature droite a traversé, intacte, les périls de sa vie de gamin de Paris. Il n’est ni curieux, ni aigri, et s’il s’est attardé devant cette boutique, c’est qu’il ne sait guère où aller et que faire par ce morose jour de novembre où le ciel gris promet la neige. Il fait froid, la bise pique et le hâtif crépuscule donne à toute chose un aspect hostile et désolé.