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et prompt retour ! fait Gérard en lui serrant affectueusement les deux mains. On n’attend plus que vous…

— Eh bien, puisqu’il le faut !… Adieu, cher enfant. Adieu, messieurs… où sont donc mes lunettes ?… Ah ! bon, les voici sur mon nez, ma parole ! Commandant, au plaisir de vous revoir… M. Wilson…, mon cher Le Guen, que je voudrais donc vous voir au gouvernail !… Enfin !… allons, en route !… »

Mais comme le bon savant se dirige en trébuchant vers l’Epiornis no 3, — sa vue toujours basse est troublée en outre par une buée suspecte, — voilà le petit Djaldi qui se précipite comme une trombe à travers ses jambes et vient se jeter aux genoux du commandant qu’il embrasse en glapissant d’une voix perçante :

« Commandant !… moi clamir[1]… beaucoup clamir !… moi partir avec les bons sahibs !… moi vouloir m’en voler sur le grand oiseau !… »

Le commandant le repousse d’un mouvement d’autant plus vif que, sous son assaut impétueux, le pauvre M. Wéber a perdu l’équilibre et s’est laissé rouler à bas de l’étroite plate-forme sur laquelle se dessine la masse imposante de l’Epiornis… On s’empresse autour du savant ; on le relève tout meurtri, ses lunettes brisées, complètement abasourdi de ce qui lui arrive ; la consternation générale est à son comble quand on reconnaît que, dans sa chute il s’est foulé, sinon cassé, le bras droit, qui tombe inerte à son côté et ne pourra lui être d’aucun usage pendant une période indéterminée, mais probablement assez longue !…

Que faire ?… remettre le départ ?… attendre la guérison du savant ?… Les provisions s’épuisent ; il devient chaque jour plus urgent d’aller chercher du secours… Bien à contrecœur, le commandant est forcé de convenir qu’il doit laisser partir Gérard. Il propose Le Guen, mais l’honnête gabier déclarant péremptoirement qu’il est incapable de conduire la machine, il faut prendre son parti du départ des deux frères. M. Wilson, qui a quelques connaissances en médecine et en chirurgie, leur promet de donner tous les soins nécessaires à M. Wéber, et, le cœur gros du regret de quitter leur vieil ami en si mauvaise passe, les deux jeunes gens se placent dans l’aviateur, pendant que le commandant réclame à grands cris Djaldi pour lui infliger la correction qu’il a si richement méritée : mais le petit singe a profité de la confusion pour se cacher dans quelque coin et demeure introuvable.

« Nous y sommes ? dit d’une voix brève Henri, debout devant son moteur, tandis que Gérard, placé au gouvernail, a empoigné la roue d’une main nerveuse. Au revoir, messieurs, à bientôt !… »

Il presse la manette, et le géant ressuscité, déployant ses ailes puissantes, s’élève d’un bond majestueux à travers l’atmosphère déchirée par son passage, dans un bruissement comparable au vol d’un millier de faisans…

Un air plus vif frappe au visage les voyageurs ; en trente secondes, ils planent à une hauteur de 800 mètres, n’entendent plus les hourrahs dont leurs compagnons ont salué le départ ; la circonférence entière de l’île se dessine sous leurs yeux ainsi qu’une mappemonde. Obéissant docilement à la main qui le guide, l’Epiornis cingle vers le nord, plus rapide et plus léger qu’une hirondelle.

En quelques minutes, l’île désolée s’est effacée derrière eux comme un brouillard ; ils sont seuls dans l’espace, n’ayant au-dessus de leur tête que l’azur, sous leurs pieds que la mer immense, muette et bleue.

Un silence auguste règne à ces hauteurs ; seul le bruit d’ailes qui accompagne l’Epiornis vient le troubler d’un frôlement continu.

Une heure entière s’était écoulée.

Les yeux fixés tantôt sur le moteur, tantôt sur le ciel, Henri, absorbé par sa manœuvre, demeurait immobile comme une statue, gui-

  1. Réclamer.