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dans le sol ; par ce moyen on peut atteindre une couche plus profonde. Quand mon locataire s’est plaint qu’il était à court d’eau, j’ai pensé à faire essayer ce système ; mais il n’a pas dû réussir, car aujourd’hui j’ai reçu une lettre du surveillant des travaux qui me prie de me rendre près de lui le plus tôt possible ; il doit me faire une communication importante.

— Peut-être ont-ils découvert un trésor caché ! Oh ! que ce serait amusant ! » s’écria Jock, sautant de joie. En voyant son maître si animé, Tramp bondit et se mit à aboyer par sympathie.

M. Grimshaw riait.

« Si un trésor avait été enfoui là, Bagshaw se le serait approprié depuis longtemps à mon insu, dit-il. Regarde, voici sa chaumière ; dans quelques minutes il nous faudra quitter la voiture et suivre un tout petit sentier qui conduit à sa demeure. En attendant, reste tranquille, et respecte un peu plus mes pieds. »

Jock s’excusa et examina la chaumière blanche qui se dressait devant eux. Autour s’étendaient quelques champs arides, presque aussi dénudés que la lande elle-même ; une vache décharnée et quelques moutons y paissaient mélancoliquement.

« Oh ! c’est magnifique ! s’écria Jock. Je voudrais vivre dans un petit coin comme celui-ci.

— C’est la première fois que tu vois une chaumière du Nord ; beaucoup ressemblent à celle-ci. Descendons et marchons. Donne-moi ton épaule, que je m’y appuie. »

Après quelques minutes de silence, M. Grimshaw murmura ;

« Étrange que tu prennes Beggarmoor en si grande affection. Quand j’étais enfant, longtemps avant que la pauvre lande m’appartint, j’avais souvent rêvé de vivre tout seul ici, avec les nuages et mon travail.

— Et moi, dit Jock, quand je serai grand j’aurai une chaumière pareille, où j’habiterai avec Tramp. Peut-être serai-je votre locataire, ajouta-t-il d’une voix joyeuse.

— Pour ce temps-là, Beggarmoor appartiendra à mon neveu, et je ne pense pas qu’il tienne à garder une terre aussi stérile. Mais il te faudra travailler, mon enfant, ou bien, comme moi, tu deviendras morose et trop fatigué de l’oisiveté pour vivre seul en l’unique compagnie des collines et des nuages. »

Jock regarda son compagnon avec une expression de sympathie ; s’il n’avait qu’à demi compris les paroles de son oncle, il avait deviné ses tristes pensées.

Brusquement M. Grimshaw changea de sujet. « Il faut que je me débarrasse de Bagshaw, dit-il de sa voix ordinaire ; je ne peux garder cet homme. Je réfléchirai au prétexte à lui donner pour qu’il s’en aille avant le terme prochain. »

Comme il parlait, le fermier apparut à la barrière du champ. C’était un homme d’un âge moyen, au teint hâlé. Son visage aux rides profondes avait une expression rusée ; son corps lourd et trapu révélait une grande force. Il ouvrit la barrière pour livrer passage aux visiteurs ; avec quelque chose de farouche dans la physionomie il murmura deux ou trois mots de salutation sans même porter la main à son chapeau.

« Bonjour, Bagshaw. Où mes hommes travaillent-ils aujourd’hui ? dit sèchement M. Grimshaw. Oh ! je les aperçois dans le champ voisin ; je vais aller voir si le puits avance. Pendant ce temps faites visiter votre chaumière à ce jeune homme ; il l’a admirée tout à l’heure en venant. »

Le fermier consentit en maugréant. Jock aurait préféré accompagner son oncle, mais M. Grimshaw était déjà loin. D’ailleurs l’enfant comprit instinctivement que la présence de Bagshaw devait gêner le maître dans son entrevue avec ses hommes. À contre-cœur, il suivit son guide dans la petite chaumière qui, à sa grande surprise, ne révélait nullement la