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JULES VERNE

Il n’y avait plus à l’avant que le matelot de quart qui ne devait pas faire bonne surveillance.

Et, d’abord, pour rejoindre le navire encalminé, il y avait une embarcation, le grand canot, qui, après la pêche, était resté à la traîne par ordre d’Harry Markel.

Homme de courage et de décision, Will Mitz résolut de tout tenter pour sauver ses compagnons, en même temps qu’il assurerait son propre salut.

Les pirates de l’Halifax à bord de l’Alert !… Ainsi s’expliquaient cette antipathie que lui inspira, dès le premier abord, le prétendu capitaine Paxton, cette répulsion qu’il éprouvait en présence de l’équipage, et la réserve farouche que ces hommes, chargés de crimes, gardaient vis-à-vis de lui.

Il n’y avait pas un instant à perdre pour profiter des circonstances favorables.

Personne n’ignore avec quelle rapidité le temps change dans ces parages des Tropiques… Une légère brise suffirait à éloigner l’Alert… On n’avait serré ni les huniers, ni la misaine, ni la brigantine, que gonfleraient les premiers souffles du vent… Au même moment, l’autre bâtiment s’éloignerait en direction contraire, et il n’y aurait plus chance de le rencontrer, — chance déjà si incertaine au milieu de ces brumes qui ne permettaient pas de l’apercevoir !…

Ce qu’il y avait d’abord à faire, c’était de réveiller les passagers l’un après l’autre, de les prévenir en quelques mots, puis de les embarquer dans le canot par l’arrière du carré, sans attirer l’attention du matelot de quart.

Avant tout, Will Mitz voulut s’assurer si Harry Markel était toujours dans sa cabine, qui occupait un des angles de la dunette, à l’entrée. Le bruit aurait pu l’éveiller, et, à moins de le mettre hors d’état d’appeler, la fuite serait compromise.

Will Mitz se glissa près de la porte de la cabine, il appuya son oreille contre le vantail, il écouta quelques instants.

Harry Markel, sachant qu’il n’y aurait rien à faire cette nuit, dormait d’un profond sommeil.

Will Mitz revint au fond du carré et, sans allumer la lampe suspendue au plafond, il ouvrit une des fenêtres percées dans le tableau d’arrière, à six pieds environ au-dessus de la ligne de flottaison.

Cette fenêtre serait-elle assez large pour que les passagers pussent descendre dans le canot ?…

De jeunes garçons, oui !… mais des hommes un peu forts, non…

Heureusement, M. Patterson n’était point corpulent. Les épreuves de la traversée l’avaient plutôt amaigri, en dépit des banquets dont il prenait si copieusement sa part aux diverses réceptions en l’honneur des pensionnaires d’Antilian School.

Quant à lui, Will Mitz, élancé, agile, souple, il saurait bien se glisser par cette fenêtre.

La fuite étant possible, sans avoir à remonter sur la dunette, — ce qui l’eût rendue inexécutable peut-être, Will Mitz s’occupa de réveiller ses compagnons.

La première cabine, dont il ouvrit doucement la porte, fut celle de Louis Clodion et de Tony Renault.

Tous deux dormaient, et Louis Clodion ne se releva qu’au moment où il sentit une main s’appuyer sur son épaule.

« Pas un mot !… dit Will Mitz. C’est moi…

— Que voulez-vous ?…

— Pas un mot, vous dis-je ?… Nous courons les plus grands dangers !… »

Une phrase suffit à expliquer la situation. Louis Clodion, qui en comprit la gravité, eut la force de se contenir.

« Éveillez votre camarade, ajouta Will Mitz. Moi… je vais prévenir les autres…

— Et comment fuir ?… demanda Louis Clodion.