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Mme  Andelot s’obstinait à juger délicate, malgré que la mine superbe de la jeune fille, sa vivacité, son entrain, donnassent un démenti flagrant à ces craintes.

Le lit était douillet, drapé, lui aussi, de rideaux blancs bordés de rose ; la toilette se trouvait avoir sa place à côté de la cheminée : disposition appréciable en hiver.

Une seule chose paraissait défectueuse à Mme  Andelot : Claire n’avait pas d’armoire-portemanteaux dans sa chambre ; le placard devant lui en tenir lieu occupait le fond du couloir. En hiver, cela obligerait la jeune fille à passer d’une température très chaude à un air glacé, et à y séjourner, chaque fois qu’elle aurait à prendre ou à mettre en place un vêtement.

« Ne pourrait-on modifier cela ? s’informa Émilienne ; un rhume est si vite attrapé ! »

C’est à Pétiôto que la question s’adressait. Mais Claire ne donna pas à celle-ci le temps de répondre.

Vivement, elle intervint :

« Non, non, maman, je préfère qu’il en soit ainsi. Une armoire encombrerait ma chambre ; où la placer ? Je te promets de ne pas m’exposer au froid, sans jeter un fichu ou une pèlerine sur mes épaules. ».

Sidonie, dont la chambre touchait à celle de la jeune fille, s’empressa d’ajouter :

« Ne vous inquiétez pas, ma chère. J’ai un poêle qui chauffe beaucoup ; je garde ma porte ouverte toute la journée ; le couloir n’est pas froid, je vous l’assure. Tu verras que nous serons bien, ma petite Claire.

— Je n’en doute pas, cousine », repartit gaiement la jeune fille.

On était en juin ; il était si loin, le temps où l’on songerait à faire du feu ! À quoi bon s’en préoccuper.

Elle avait bien autre chose en tête, à cette heure ; et, d’abord, éloigner sa mère et la vieille cousine.

Elle tremblait qu’en l’aidant à suspendre ses robes, l’une ou l’autre n’aperçut ce qu’elle-même avait découvert par hasard, à son précédent voyage.

Et, carrément, les remerciant de leurs services :

« À présent, déclara-t-elle, je n’ai plus besoin de vous.

— Tout cela, qui donc le rangera ? observa Mme  Andelot, indiquant de la main le lit sur lequel s’entassaient les toilettes de la jeune fille.

— Moi, maman, moi toute seule, puisque je dois apprendre à me servir… Tu ne seras plus là pour prévoir ce dont j’aurai besoin, maman chérie ! Si je n’ai pas serré moi-même la robe que je voudrai mettre, je ne saurai où la prendre.

— Elle a raison », approuva Sidonie, pas fâchée de recouvrer sa liberté.

L’excellente fille avait assumé chez grand’mère tant de charges diverses, que toujours quelque soin la réclamait : en ce moment, c’étaient la cuisine et la cave.

« Je descends, annonça-t-elle.

— Fais donc à ton gré, mon enfant », dit Émilienne, qui, suivant Pétiôto, alla retrouver sa mère et son mari.

Claire se tint quelques minutes immobile en haut du palier, à écouter décroître leurs pas, s’ouvrir et se fermer les portes.

Puis, une fois assurée que personne ne songeait à troubler sa solitude, à pas légers, elle retourna jusqu’au fond du couloir.

Le grand placard était là, fermé encore ; l’apparence d’un meuble banal, n’ayant d’autre office que d’offrir ses portemanteaux aux vêtements et son rayon aux cartons à chapeaux en quête d’un logis.

Claire introduisit dans la serrure la clef que, pour la lui remettre, grand’mère avait détachée d’un trousseau serré dans son secrétaire, — elle avait même soupiré, grand’mère, en se dessaisissant de cette clef.

La porte s’ouvrit…