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BOURSES DE VOYAGE

haubans du grand mât avec une légèreté, une souplesse qui provoquaient toujours chez le mentor autant d’admiration que d’inquiétude… et, aussi, de regret de ne pouvoir les imiter.

Cette fois, Will Mitz les suivit, non moins leste qu’eux. Ils atteignirent presque au même moment les barres, et tous trois s’occupaient de serrer le grand perroquet.

« Tenez-vous bien, mes jeunes messieurs, leur dit-il. C’est une précaution qu’il faut toujours prendre, même quand le navire ne roule pas…

— On tient bon, répondit Tony Renault. Ça ferait trop de peine à M. Patterson si nous tombions à la mer ! »

Tous trois suffirent à serrer la voile contre la vergue, qui avait été amenée sur le ton du grand mât, après que cette opération eut été achevée pour le cacatois.

En même temps, les matelots en faisaient autant au mât de misaine ; puis le grand foc, le clin-foc et la voile de flèche d’arrière furent rentrés.

Le navire demeura sous ses deux huniers, sa misaine, sa brigantine, son petit foc, que les derniers souffles de la brise gonflaient à peine.

Légèrement appuyé par le courant qui portait à l’est, il ne ferait que peu de route jusqu’au lever du soleil.

Mais Harry Markel ne serait pas surpris si quelque brusque orage tombait à bord.

En quelques instants, on aurait cargué la misaine et mis les deux huniers au bas ris.

Lorsque Will Mitz fut redescendu avec Tony Renault et Magnus Anders sur la dunette, il observa la boussole, éclairée par la lampe d’habitacle.

Depuis le matin, l’Alert devait avoir couru d’une cinquantaine de milles vers le sud-est, et il pensait que le capitaine allait prendre un autre bord pour la nuit, cette fois en direction du nord-est.

Harry Markel s’aperçut bien que son passager témoignait quelque surprise à le voir maintenir sa route. Mais, sévère observateur de la discipline, Will Mitz ne se fût pas permis de présenter aucune observation à cet égard.

En effet, après avoir regardé une dernière fois le compas, alors que Corty tenait la barre, il examina l’état du ciel et vint s’asseoir au pied du grand mât.

À ce moment, Corty, ne risquant point d’être entendu, s’approcha d’Harry Markel et lui dit :

« Il semble bien que Mitz ne pense pas que nous soyons en bonne route !… Eh bien, on l’y mettra cette nuit, lui et les autres, et rien ne les empêchera de gagner Liverpool à la nage, si les requins leur laissent bras et jambes ! »

Probablement le misérable trouva la remarque très plaisante, car il partit d’un violent éclat de rire, que Markel réprima d’un regard.

En ce moment, John Carpenter le rejoignit.

« Nous gardons le grand canot à la traîne, Harry ?… demanda-t-il.

— Oui, John, il peut nous servir…

— Si nous avions besoin d’achever la besogne au dehors ! »

Ce soir-là, le dîner ne fut servi qu’à six heures et demie. Sur la table figurèrent plusieurs des poissons pêchés dans la journée, et que Ranyah Cogh avait convenablement accommodés.

M. Patterson déclara n’avoir jamais rien mangé de meilleur… surtout les bonites, et il exprima l’espoir que les jeunes pêcheurs sauraient en prendre d’autres de la même espèce au cours de la traversée.

Après le dîner, tous remontèrent sur la dunette, où ils comptaient attendre que la nuit fut close pour regagner leurs cabines.

Le soleil, caché derrière les nuages, n’avait point encore disparu sous l’horizon, et l’obscurité ne serait pas complète avant une grande heure.

Or, Tony Renault, à cet instant, crut apercevoir une voile dans la direction de l’est, et,