Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/614

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avoir remarqué dans la grotte de Brando une statue de femme voilée qui m’avait charmé par sa grâce. J’étais alors tout enfant, et je ne m’étonnai guère, par conséquent, d’un phénomène dont je ne soupçonnais pas l’étrangeté. Plus tard, quand j’ai vu la Polymnie, elle m’a rappelé d’une manière frappante ma statue calcaire, et c’est alors que je me suis émerveillé… Mais pénétrons sous ce portique, et vous verrez que le logis, sans répondre aux prétentions pompeuses de l’entrée, offre du moins un abri sur : c’est tout ce qu’il nous faut…

— Encore une caverne ! dit Henri, le suivant dans une ouverture du rocher, qui, haute d’environ deux mètres, allait se rétrécissant par degrés, et devenait, après une vingtaine de mètres, une sorte de boyau où il fallait avancer en rampant.

— Encore une ! répéta Gérard. C’est la seule chose qui ne manque pas en ce lieu. Quand nous apporterons nos impressions de voyage à la Société de Géographie, nous pourrons proposer qu’on appelle cette île l’Île des Cavernes.

— Celle-ci, du moins, me paraît devoir offrir l’avantage d’être très habitable, dit M. Wéber, qui avançait péniblement derrière eux. Je rencontre sous ma main un sable fin et sec qui sera probablement fort hygiénique.

— Dommage qu’on n’y voie goutte, à mesure qu’on avance davantage !…

— J’y ai pourvu », dit Gérard, faisant jaillir l’étincelle de sa pierre à fusil (il y avait beau temps que les allumettes étaient épuisées) et, allumant une petite lanterne alimentée d’huile de pingouin :

« Nous sommes au but. Voyez, reprit-il, élevant le luminaire, si je ne vous ai pas découvert une belle hôtellerie !

— Parfait ! répondit le bon Wéber avec conviction.

— Les parois sont propres, ajouta Henri ; la grotte est spacieuse, je n’aperçois nulle trace d’animaux ; la température est douce ; nous serons fort bien ici pour dormir.

— Positivement comme des coqs en pâte, appuya Gérard. Pendons la crémaillère dès ce soir ; je veux dire, apportons ici tout ce qui est nécessaire pour camper, et en avant les travaux !

— Avec tout cela, remarqua Henri, tu ne nous as pas conté par quel hasard, et à quel moment tu as découvert cette demeure si merveilleusement appropriée à nos projets ?

— Oh ! moi, tu sais, c’est ma manie d’explorer et de fourrer mon nez partout. Ne te rappelles-tu pas que, le premier jour où nous avons escaladé ces hauteurs, je te signalai dans le lointain une sorte de palais barbare, et je te proposai d’aller examiner de près ce monument qui avait des airs de forteresse ? Il faisait un froid de loup, tu avais l’onglée, et cette excursion supplémentaire ne parut pas te tenter ; quant à moi, ce palais m’attirait ; je suis revenu plus d’une fois le visiter. Je me doutais peu qu’adossée au revers du château fort se trouvait une niche où dormait notre libérateur… »

Il était à peu près trois heures de l’après-midi et, jugeant qu’avec l’aide de Le Guen il avait largement le temps d’établir avant la nuit l’installation nécessaire, Gérard descendit de son pied léger, laissant les deux mécaniciens en admiration devant l’épiornis.

Lorsqu’il reparut, une heure plus tard, suivi du fidèle gabier, pliant, comme lui, sous la charge de la literie et des instruments de travail qu’ils apportaient, les deux savants étaient à la même place, prenant des mesures, faisant des plans, ravis, de plus en plus, de la perfection de leur rudiment d’aviateur, et entièrement insoucieux du froid qui commençait à sévir durement à cette hauteur.

« Je gage qu’au milieu de leur docte entretien ils ne s’aperçoivent même pas qu’ils gèlent