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de transporter au bas du pic notre géant solitaire, il n’y faut pas songer, n’est-ce pas ?

— À aucun prix ! prononça nettement M. Wéber. Ce serait vouloir mettre en péril tout le succès de l’affaire. Avec une préparation spéciale, et quelques jours devant moi, je me fais fort de rendre inébranlables le squelette, les ligaments et tendons qui le soutiennent dans la perfection de son harmonie. Ce n’est pas assurément la colle de poisson qui nous manque ; avec le temps et les précautions convenables, je me charge, je le répète, d’assurer la solidité parfaite de notre carcasse ; mais ces précautions sont impérieusement nécessaires.

— Savez-vous, dit Henri soucieux, que, je me fais scrupule, en y regardant de près, de permettre que notre cher M.  recommence chaque jour — que dis-je ? — plusieurs fois par jour, cette ascension laborieuse ! Je vous ai bien vu tout à l’heure, vous étiez exténué.

— Qu’allez-vous chercher là ? dit le bon savant tout guilleret. Ne vous inquiétez pas de ce détail… Je m’habituerai à l’escalade. On s’habitue à tout ! Et puis, il n’y a pas moyen de faire autrement ; voilà qui règle la question.

— Si fait ! dit Gérard vivement. On pourra s’arranger autrement. Vous parliez tout à l’heure des bienfaisants caprices du hasard : on dirait, en vérité, que, non content de nous fournir la carcasse de notre navire aérien, il a songé à nous ménager le chantier convenable et le logis voisin. — Voyez d’abord le réduit où s’est retiré l’épiornis, à l’heure de rendre son ultime soupir : fermé sur trois côtés et couronné de sa voûte de roches, il offre aux constructeurs un abri convenable contre la pluie, la neige, le mauvais temps possible. Une fois l’aviateur complété, il sera facile de le pousser sur cette petite esplanade qui semble avoir été nivelée de plain-pied avec l’intérieur de la grotte tout exprès pour nous offrir l’embarcadère requis.

— Mais c’est qu’il a raison ! s’écria M. Wéber enchanté. Tout est comme il le dit ; comment ne l’avions-nous pas tout de suite remarqué ? En apportant ici, avec notre matériel de travail, quelques matelas et une tente, nous pourrons camper très confortablement au pied de l’épiornis, et dormir sous son aile.

— Sous son moignon déplumé, et attraper des rhumatismes par cette porte ouverte aux quatre vents de la nuit ? acheva Gérard. Non, non ! J’ai mieux que cela à vous offrir. Je vous ai parlé d’un chantier et d’un logis ; laissez-moi vous montrer que je ne me suis pas trop avancé. »

Guidant ses compagnons, il suivit, à droite de la loggia où l’oiseau géant dormait de son sommeil séculaire, un petit sentier tournant qui, en moins de deux minutes de descente, les amena devant une sorte de rude portique, grossièrement façonné, mais soutenu par quatre piliers de dimensions et de pose sensiblement symétriques.

« Ma parole ! s’écria Henri, on jurerait que ceci a été bâti par la main d’un architecte, fruste et malhabile sans doute, mais enfin un constructeur. Voyez la grande dalle que soutiennent ces quatre colonnes ; en l’aplanissant un peu, elle fournirait une terrasse très convenable, où les habitants de ce palais pourraient venir prendre leur café le soir, à l’italienne. C’est inouï de penser que, dans le désordre des éboulements et cataclysmes, cette construction régulière s’est organisée toute seule, et sans le secours d’une main d’homme — car il n’y a pas moyen de supposer qu’il en soit autrement.

— Bah ! Les stalactites en font bien d’autres ! répliqua Gérard. Sans parler des innombrables pendeloques plus ou moins curieuses ou fantastiques, suspendues à toutes les grottes où se forment ces concrétions, je me rappelle