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jettent le plus grand désordre dans le convoi et disparaissent. Déjà la lutte avait repris et les cavaliers dissidents étaient rejetés. Mais la retraite des goums avait trompé nos chameliers qui, nous croyant perdus, jugèrent le moment venu de se débarrasser d’une corvée gênante et de déguerpir. Coupant donc les liens qui fixaient la charge des chameaux, ils s’enfuirent, emmenant leurs bêtes. Et comme le peloton de chasseurs d’Afrique chargé de les surveiller voulait s’opposer à ce mouvement, ils n’hésitèrent pas à tirer sur lui. C’est ainsi que le chef de ce peloton, le lieutenant Laneyrie, fut tué et foulé aux pieds[1].

« Pendant ce temps, en tête, le combat se terminait par la retraite des dissidents. Mais les désordres de l’arrière ne permirent pas de les poursuivre.

(La suite prochainement.) Michel Antar.

FILLE UNIQUE

CHAPITRE XIV (Suite.)

Sa terrible Clairette ! Elle n’avait point soupçon du chemin qu’elle avait fait dans son cœur, depuis les jours passés ensemble chez grand’mère.

Il était parti bien troublé, sentant qu’elle s’emparait de lui, craignant encore de se tromper cependant, et résolu à tenter l’épreuve de l’éloignement, de la réflexion, de la dissection du caractère de la jeune fille, à distance, loin du charme de son regard sans détours.

Et voilà que, dans l’atelier de Yucca, il s’était trouvé en face de son portrait : cette délicieuse physionomie, souriante, attentive, sans coquetterie de pose, rien de cherché, rien de voulu, le naturel dans toute sa candeur, dont une fois déjà, en son château de Vielprat, la vue avait rasséréné son esprit.

Elle n’y ressemblait pas toujours, Clairette, à son portrait… Mais ce qui lui manquait, pour que cela fut, Lilou et Pompon aidant, ne pourrait-elle l’acquérir ?

À côté de cette tête blonde, la beauté brune, régulière, un peu hautaine, indiscutable toutefois, de Guyonne de Taugdal, ressortait superbe ; Yucca avait fait un chef-d’œuvre.

« Elle est bien belle, avait prononcé de Kosen ; mais, avait-il ajouté presque aussitôt, on ne la définit pas. Tandis que Claire… »

Et il était retourné à sa cousine. Le voyage à petites journées en automobile avait cependant eu lieu : Hervé ne s’était point dérobé à l’engagement pris.

Trois familles vivant en commun durant des semaines, c’est un petit monde. Quoique l’on en ait, il est impossible de tenir si bien en bride sa vraie nature qu’elle ne fasse pas trou ici ou là.

Hervé avait observé, très maître de lui, résolu à rester impartial.

Pas une fois Guyonne n’avait donné prise à sa critique. Mais il ne se sentait point attiré. Cette jeune femme à qui aucun sport n’était étranger, qui parlait l’argot avec une suprême élégance, — si tant est que les deux termes puissent s’atteler au même timon, — qui chassait et abattait le gibier avec le plus parfait sang-froid, — elle s’en faisait gloire, — avait-elle un cœur assez pitoyable, assez tendre pour servir de mère à ses fils ? il ne le pensait pas.

Elle pourrait aimer ses propres enfants, non ceux d’une autre…

Tandis que, bon gré, mal gré, Claire avait vu son cœur pris d’assaut par les deux chers tyrans. Ce germe d’amour maternel que Dieu dépose dans le cœur de toute femme, Lilou et

  1. Le lieutenant Laneyrie fut enterré à Chellala. On lui fit un cercueil avec des débris de caisses à biscuit. On lui a, depuis, élevé un monument au village.