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jardins emmurés qui les entoure, constituent-elles un appui solide ; moins cependant que la puissante protection dont les couvrent et le père de Sidi Cheikh, — Sidi Mohammed ben Slimane, — et son oncle, — Si Ahmed ould Medjdoub, — qui, tout auprès, dorment leur dernier sommeil sous de spacieuses koubbas, but de nombreux pèlerinages. Sidi Cheikh pourrait-il ne pas appuyer de tout son pouvoir, auprès d’Allah dont il est l’ami, les faveurs demandées par des personnages qui le touchent de si près ? D’autant qu’il habita lui-même le pays un certain temps, à l’époque de sa jeunesse, et que, même, il y produisit un de ses premiers miracles. S’y rendant un jour, à cheval, en compagnie de son père, ils croisèrent un vieux marabout du nom d’Abd el Djebbar qui, depuis peu, était venu y planter sa tente. Aussitôt Sidi Mohammed, sautant à terre, se précipita, plein de respect, pour saluer le vieillard. Mais son fils ne le suivit point. Abd el Djebbar, stupéfait d’un tel manquement aux coutumes, le sermonna vigoureusement :

« — Comment, polisson, tu restes a cheval au lieu de venir, comme ton père, me présenter tes devoirs ? Jolie éducation que tu as reçue là, petit morveux !

« — Tu as tort de me traiter ainsi, repartit le jeune homme, tu ne sais pas à qui tu parles. Tu es un saint homme, je le veux bien ; mais je suis encore plus saint que toi, quoique très jeune.

« — Un saint, toi ? Non ; mais un enfant orgueilleux.

« — Tu te trompes. Je suis un ami de Dieu, et tu sais bien qu’il ne supporterait pas, chez ses élus, le plus petit germe d’orgueil, fût-il seulement du poids d’une graine de moutarde. Pour te montrer que j’ai dit la vérité, tiens… »

« Et, dans le vide, il traça un signe mystérieux de sa main droite. Incontinent Abd el Djebbar et les gens qui se trouvaient avec lui disparurent dans la terre, qui, après s’être ouverte pour les recevoir, se referma au-dessus d’eux.

« Cependant Sidi Mohammed, pris de pitié, intercéda pour eux :

« — Ne leur fais aucun mal ; ils ont péché par ignorance ; ils ne pouvaient pas savoir… »

« Sur un nouveau geste, la terre rendit ceux qu’elle venait d’engloutir. Alors Abd el Djebbar, descendant de cheval, s’en fut vers le jeune homme, et, s’excusant humblement, sollicita un pardon qui lui fut d’ailleurs généreusement octroyé.

« De Chellala, où s’étaient concentrés les Trafis prêts à se soulever, partit, on l’a vu, l’insurrection de 1881. C’est là que Bou Amama parvint à les décider ; là que, dans la koubba de Sidi Mohammed, ils lui prêtèrent le serment de mourir pour leur foi ; de là qu’il les emmena implorer avec lui l’appui du grand Sidi Cheikh à El Abiod ; là enfin qu’il revint aussitôt pour marcher sur Géryville.

« Alors, dans le défilé même des Moualok, il livra son premier combat, contre la colonne de Géryville envoyée au-devant de lui.

« Notre infanterie marchait en carré, flanquée de sa cavalerie, suivie de son convoi et précédée de ses goums, que commandait un certain chef de notre connaissance, El Hadj Kaddour Sahraouï : traître en 1864, lors de l’affaire Beauprêtre, réhabilité à nos yeux par l’homérique lutte de Garet Sidi Cheikh, il allait nous trahir pour la seconde fois.

« Devant nous, tenant la largeur presque entière du défilé, s’avançaient les insurgés, l’infanterie au centre, les cavaliers sur les ailes. Ils allaient, impassibles, sous notre feu ; ceux qui tombaient étaient aussitôt remplacés ; leur ligne ne présentait pas un vide. Mais, à 150 mètres de nous, trop cruellement éprouvés, leurs fantassins cèdent. À ce moment leurs cavaliers, enlevés avec vigueur, se précipitent sur les goums de Sahraouï, qui, de suite, tournent bride, s’enfuient à la charge, paralysant nos feux, traversent le carré,