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JULES VERNE

personnel du navire. Et ce n’était pas seulement le capitaine de l’Alert, c’étaient aussi John Carpenter, Corty et les autres. Si la tenue du trois-mâts lui parut irréprochable, ces figures où se reflétaient tant de passions violentes, ces physionomies farouches, dont la fausseté se dissimulait mal, n’étaient point pour lui inspirer confiance. Aussi résolut-il de garder une certaine réserve avec l’équipage.

D’ailleurs, si Will Mitz ne connaissait pas le capitaine Paxton, il en avait entendu parler comme d’un excellent marin, avant même qu’il eût le commandant de l’Alert, et Mrs Kethlen Seymour ne l’avait pas choisi sans sérieuses références.

En outre, durant leur séjour à Nording-House, les jeunes passagers avaient toujours fait le plus grand éloge du capitaine Paxton et vanté l’habileté dont il avait donné des preuves pendant la tempête au large des Bermudes. La traversée d’aller s’était effectuée d’une manière très satisfaisante, pourquoi n’en serait-il pas ainsi de la traversée de retour ? … Will Mitz pensa donc que cette première impression qu’il avait ressentie en arrivant à bord ne tarderait pas à s’effacer.

Lorsque Corty apprit que Will Mitz avait offert ses services, il dit à Harry Markel et à John Carpenter :

« Eh !… voilà une bonne recrue sur laquelle nous ne comptions guère !… Un fameux marin pour commander le quart avec toi, John…

— Et qu’on peut mettre en toute confiance à la barre !… ajouta non moins ironiquement John Carpenter. Avec un pareil timonier, pas d’écart de route à craindre, et l’Alert filera droit sur Liverpool…

— Où, sans doute, la police, prévenue d’une façon ou d’une autre, reprit Corty, nous recevrait à notre arrivée avec les honneurs qui nous sont dus…

— Assez plaisanté, déclara Harry Markel, et que chacun veille sur sa langue pendant vingt-quatre heures encore…

— D’autant plus, fit observer John Carpenter, que ce marsouin-là m’a paru nous regarder d’une singulière façon…

— Dans tous les cas, reprit Harry Markel, qu’on ne lui réponde que peu ou point, s’il veut causer !… Et surtout que Morden ne recommence pas ce qu’il a fait à Sainte-Lucie…

— Bon ! conclut Corty, quand il n’a pas bu, Morden est muet comme un poisson, et on l’empêchera de boire avant que nous ne portions la santé du capitaine Markel ! »

Au surplus, il ne sembla pas que Will Mitz voulût engager conversation avec les hommes de l’équipage. Dès son arrivée, il se retira dans sa cabine où il déposa son sac, en attendant le retour des passagers, et, le lendemain, il avait donné la main à l’appareillage. Pendant cette première journée, Will Mitz rencontra à l’arrière ce qu’il n’eût pas trouvé à l’avant du navire, — de braves garçons qui s’intéressaient à lui. Plus particulièrement Tony Renault et Magnus Anders se montrèrent très heureux « de pouvoir parler marine avec un marin. »

Après le déjeuner, Will Mitz alla se promener sur le pont en fumant sa pipe.

L’Alert portait ses basses voiles, ses huniers et ses perroquets. Il aurait dû courir une longue bordée au nord-est, de manière à passer à l’ouvert du canal de Bahama au delà des Antilles, et profiter des courants du Gulf-Stream qui se dirigent vers l’Europe. Aussi Will Mitz put-il s’étonner que le capitaine eût pris les amures à tribord au lieu de les prendre à bâbord, ce qui l’éloignait avec cap au sud-est. Mais, sans doute, Harry Markel avait ses raisons pour agir ainsi, et il n’appartenait point à Will Mitz de l’interroger à ce sujet. Il se disait, d’ailleurs, que l’Alert, après avoir parcouru cinquante ou soixante milles, reprendrait sa route vers le nord-est.

En réalité, ce n’était pas sans intention qu’Harry Markel manœuvrait de manière à gagner la pointe méridionale de l’Afrique, et,