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— Combien de temps me laisseriez-vous, si je consentais à rester ? s’informa la jeune fille.

— Le temps que tu voudrais. Si tu ne t’accoutumais pas à vivre séparée de nous, au printemps prochain ton oncle Augustin t’amènerait.

— Dans ces conditions-là, je veux bien aller chez grand’mère… »

Elle les enveloppa tous les deux de son regard caressant.

Assise au pied de son lit, encore en peignoir, les cheveux dénoués, ses pieds nus dans les petites mules de cuir rouge, elle ne bougeait plus, songeait à ce bouleversement soudain, et un peu de détresse passait dans ses yeux qui allaient de l’un à l’autre.

« Parents chéris… » murmura-t-elle.

Et c’est tout de bon qu’elle le pensait, que son cœur, étrangement serré, le disait le premier.

Ils avaient l’air si triste !

Tout à coup, elle se dressa, étendit les deux bras, de façon à les étreindre ensemble, et elle les embrassa dix fois de suite, répétant toujours :

« Parents chéris… »

Et sa voix s’étranglait, se faisait faible, de moins en moins intelligible, à mesure que la perception du sacrifice qu’ils s’imposaient lui devenait plus vive.

« Nous ne nous séparerons qu’au dernier moment, dites ? Vous viendrez tous les deux me conduire à Arlempdes. »

On lui représenta que cela ne se pouvait pas. La présence de l’ingénieur était urgente à son nouveau poste, et Mme Andelot devrait, au contraire, mettre à profit l’absence de son mari pour s’occuper des derniers préparatifs.

Ni chemins de fer, ni services réguliers de voitures, là où ils se rendaient. Les transports étaient très coûteux ; on aurait mille peines à se procurer les objets dont on ne se serait pas pourvu au départ ; il ne fallait rien oublier.

Mais Claire ne se rendit point. C’est elle, alors, qui resterait avec eux jusqu’à la fin. Elle aiderait sa mère à faire les achats, les emballages. On déposerait à l’avance les bagages en gare. Ses parents n’auraient plus qu’à monter dans le train, à leur retour d’Arlempdes.

M. Andelot ajouta :

« Tu rognes ainsi la part de ma mère. Nous ne pourrons lui donner qu’un à deux jours, avec ta combinaison.

— Tant pis ! Moi, je ne veux vous quitter qu’à la dernière minute. C’est déjà bien joli que j’y consente.

— Et la dépense de ce double voyage, observa encore Émilienne.

— En prenant des billets circulaires, vous la réduirez à peu de chose : je vous veux tous les deux. »

M. et Mme Andelot renoncèrent à lutter davantage, heureux, au fond, de cette insistance. Et il en fut ce qu’avait décidé Claire.


CHAPITRE II


Dans la vieille maison d’Arlempdes, tout était sens dessus dessous : volets ouverts du haut en bas, portes claquantes, appels, rires : le brouhaha joyeux de l’arrivée.

Claire emplissait de vie la chère demeure, mettait en émoi la poussière assoupie dans les coins, faisait résonner l’escalier sous son pas agile vingt fois en un quart d’heure.

« Théofrède ! montez bien vite ma malle. Modeste n’a pas le temps de vous aider !… Attendez, j’y vais. »

Et la voilà redescendue.

« Y songes-tu ! » grondait la voix claironnante de Pétiôto, déjà en bas, une main à la poignée de la caisse qu’il s’agissait de transporter.

Debout au milieu de la chambre qui allait devenir celle de sa fille, Mme Victor Andelot en combinait l’arrangement.