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JULES VERNE

Harrv Markel à s’éloigner des parages de l’Antilie.

On put même craindre de rencontrer, dès le premier jour, les contre-alizés de la partie ouest. Dans ces conditions, l’Alert aurait été entraîné au large. Or, s’il avait fallu louvoyer pendant de longs jours pour rallier les côtes de la Barbade, qui sait si Harry Markel n’eût pas renoncé à cette dernière relâche, si profitable dût-elle être pour ses compagnons et pour lui ?… Qui sait s’il n’aurait pas fui ces dangereux parages, s’il n’eût pas enfin assuré sa sécurité en dirigeant son navire sans passagers vers les mers du Pacifique ?…

Eh bien, non, avec le tempérament audacieux qu’on lui connaissait, Harry Markel, résistant aux instances de son équipage, aurait fait valoir que la Barbade devait être l’étape terminale ; que le voyage serait achevé dans quelques jours, que les périls ne seraient pas plus redoutables dans cette île qu’à Sainte-Lucie ou à la Dominique, anglaises comme elle, et il eût ajouté :

« Au retour, l’Alert vaudra sept mille livres de plus, car je ne jetterai pas ces sept mille livres à la mer, en y jetant ceux qui doivent les toucher à la Barbade ! »

Les modifications atmosphériques que l’on pouvait craindre ne se réalisèrent pas. Dans l’après-midi éclata un de ces gros orages, violents roulements de tonnerre, pluie torrentielle, qui ne sont pas rares dans la région des Antilles et y occasionnent trop souvent d’incalculables désastres. L’Alert dut pousser au large durant quelques heures. Puis le météore prit fin avec le coucher du soleil et la nuit promettait d’être assez calme.

Dans cette première journée, l’Alert n’avait franchi que le quart de la distance qui sépare les deux îles. L’orage l’ayant obligé de se mettre en cape courante, hors de sa route, Harry Markel espérait rattraper la nuit ce qu’il venait de perdre.

C’est ainsi que les choses se passèrent. La direction du vent s’étant modifiée, les alizés reprirent dans l’est, faibles et intermittents. La mer restée dure, la houle déferlante, tout ce que put faire le navire jusqu’à l’aube, ce fut de regagner au vent, et, le matin du 6 septembre, il était à mi-chemin entre les deux îles.

Ce jour-là, la navigation s’effectua en d’assez bonnes conditions sous une vitesse moyenne, et, le soir, l’Alert se trouvait en latitude avec la Barbade.

Cette île ne se laisse pas apercevoir de très loin, comme la Martinique. C’est une terre basse, sans grand relief, qui, ainsi que cela a été observé, est lentement montée à la surface de la mer. Son morne le plus élevé, l’Hillaby, ne dépasse pas trois cent cinquante mètres. Autour, de même qu’à Sainte-Lucie, se continue la croissance des couches coralligènes, et sa ceinture extérieure s’étend en certains endroits à plusieurs kilomètres.

Harry Markel mit donc le cap à l’ouest, et, comme il n’en était qu’à une quinzaine de milles, l’île serait atteinte en quelques heures. Toutefois, ne voulant pas s’aventurer à proximité des brisants, il resta sous petite voilure, attendant le lever du jour pour entrer dans le port de Bridgetown.

Le lendemain, 7 septembre, l’Alert avait pris son mouillage.

L’impression des jeunes passagers, lorsqu’ils se virent au milieu de ce port, fut bien celle que marque Élisée Reclus dans sa Géographie si documentée. Ils crurent avoir atteint un des ports de l’Angleterre, Belfast ou Liverpool. Plus rien de ce qu’ils avaient observé à Amalia-Charlotte de Saint-Thomas, ni à Pointe-à-Pitre de la Guadeloupe, ni à Saint-Pierre de la Martinique. Suivant la remarque du grand géographe français, il semblait que les palmiers fussent dépaysés en cette île.

Si la Barbade n’a qu’une moyenne superficie, elle possède cependant un certain nombre de villes, assez importantes, fondées sur