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nous offrir, quels ennemis elle peut receler, quelles chances d’évasion nous restent ouvertes… Avant tout, déterminons le point le plus élevé de l’île pour y transporter notre feu, et commençons par le renouveler, ce feu, qui doit être notre salut — aujourd’hui ou demain — en signalant au loin notre présence sur ce roc perdu…

— Tu as parfaitement raison, dit Henri ; c’est la mesure essentielle, et j’ai déjà noté sur le revers de la falaise des masses pendantes de vieux goémons desséchés qui feront sans doute une flambée très brillante…

— Vraiment ? Eh bien, pendant que tu procèdes à ta toilette, nous allons sans tarder, Djaldi et moi, disposer un tas de ces algues sèches sur le faîte de notre dortoir. Une fois ce devoir accompli, nous irons nous promener, la conscience libre, car un jour vaut l’autre. Rien ne dit que, si le navire libérateur doit jamais traverser ces parages, ce ne sera pas demain, ou ce soir… Il y aurait folie à négliger la plus petite chance… »

Vingt minutes plus tard, les deux frères, armés de leurs revolvers, partaient pour leur voyage d’exploration, laissant à Djaldi, tout fier de cette mission de confiance, le soin d’entretenir le signal lumineux. Contournant le pied de la falaise par l’étroite bande de sable qui descendait jusqu’à la mer, ils marchèrent cinq kilomètres environ sans rencontrer de solution de continuité dans la haute muraille qui formait la ceinture de l’île ; au bout de cette distance, le rempart naturel s’affaissait brusquement, présentant un amas de roches désordonnées et comme tumultueuses.

« Le mur s’est écroulé ici, dit Henri observant ces débris gigantesques. La falaise a dû former un tout homogène à son heure.

— Plaise aux dieux qu’elle ne nous joue pas un tour pareil à celui dont témoignent ces décombres !

— Oh ! ce cataclysme date de loin, dit Henri, attaquant le roc avec son marteau de géologue. Quelques milliers de siècles au moins… Nous avons le temps de respirer.

— Tant mieux ! Et voici un escalier de géants qui semble pratiqué tout exprès pour nous permettre de prendre une vue d’ensemble de notre royaume. »

Dans le caprice de l’éboulement, une sorte de rude escalier s’était en effet dessiné par larges assises, et consolidé à travers les masses entassées ; profitant de ce sentier naturel, les deux frères ne tardèrent guère plus d’une heure à gagner de roc en roc le sommet le plus haut du pic insulaire sur lequel ils se trouvaient jetés. De cet observatoire, ils purent s’assurer tout d’abord que leur prison était bien une île, et une fort petite île : à part la portion du rivage que leur cachait la falaise et qu’ils avaient déjà parcourue, ils discernaient nettement le ruban vert glauque l’entourant de toutes parts, et tranchant sur la teinte grisâtre des roches. Ils constatèrent, en second lieu, que cette île présentait deux températures différentes bien tranchées. L’une, froide assurément, mais non dénuée de soleil, et supportable, en somme, régnait sur toute la région protégée par la falaise et regardant l’Équateur — celle même où le hasard les avait fait aborder ; l’autre, noire, triste, glaciale, exerçait ses rigueurs sur la partie de l’îlot tournée vers le Pôle Sud, où les pâles rayons du soleil ne pénétraient point, confisqués qu’ils étaient au passage par la haute muraille de granit, et où soufflait sans intermission une aigre bise dont cette même muraille défendait la partie la moins déshéritée de cette misérable terre.

« N’allons pas plus avant, dit Henri. Inutile de fréquenter jamais cette région désolée. Pas un arbre n’y pousse ; pas un oiseau n’y vole ; pas un insecte n’y paraît ; et l’épaule de la falaise monte aussi haut qu’aucun de ces rocs démantelés. Notre feu peut demeurer à la place même que nous lui avons assignée ce