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vent de cette agitation et l’on expulsa le marabout du territoire algérien ; puis on se résolut à arrêter ses émissaires.

« La première exécution de ce genre fut confiée, au mois d’avril 1881, à un officier du bureau arabe de Géryville, le lieutenant Weinbrenner. On le chargea d’aller dans un douar de Trafis — les Djeramma — et d’y opérer l’arrestation d’un mokaddem signalé comme dangereux.

« Weinbrenner fut très bien accueilli, comme le sont toujours les représentants de l’autorité ; mais les gens du douar refusèrent tout d’abord de lui laisser prendre leur mokaddem. Cependant, après de longs pourparlers, se rendant à la persuasion ou aux menaces, ils se décidèrent à le laisser agir.

« Sa mission terminée ainsi heureusement, Weinbrenner, déjà remonté à cheval, se disposait à partir, emmenant son prisonnier, lorsque le chef du douar le supplia d’accepter auparavant la « diffa » qu’il lui avait fait préparer, au milieu des tentes, sur un tapis étendu à même le sol. L’officier, prudemment, refusa ; mais, le cheikh insistant, il jugea impolitique de vexer, par la grossièreté d’un refus, ces gens qui s’étaient soumis à ses ordres, malgré qu’il leur en eût coûté. Mettant donc pied à terre, il s’avança, au milieu de l’habituel cercle d’inoffensifs curieux, jusqu’au tapis et, tout en causant, se baissa pour prendre des dattes dans un plat de bois.

« Instantanément, de dessous les burnous rejetés sur les épaules, des matraques et des fusils jaillirent. Weinbrenner n’eut pas le temps de se redresser ; assommé, il tomba mort, la face en avant. Son escorte subit un sort analogue : le caïd, dont dépendaient les Djeramma, fut ligotté et emporté ; son frère resta étendu, le corps percé de onze blessures ; deux spahis furent tués ; le troisième, quoique blessé, put cependant s’enfuir et gagner Géryville. Seul le maréchal des logis de spahis se tira d’affaire intact : empoignant un enfant, il s’en fit un bouclier et sortit de la bagarre à reculons. C’est du moins l’explication que l’on reçut de lui lorsque, ne pouvant se défendre de certains doutes à son égard, on s’étonna qu’il eût réussi à revenir sain et sauf[1].

« Si cet attentat n’était pas prémédité, du moins un mouvement général se concertait-il déjà ; sans cela comment s’expliquer que, ce même jour, d’autres Trafis coupaient le télégraphe autour de Géryville, d’autres encore arrêtaient, sur la route de Saïda, la voiture faisant le service du courrier et s’y emparaient d’un fonctionnaire de l’intendance qui rejoignait son poste ? Le pauvre homme passa par d’atroces transes ; il en fut quitte cependant pour la peur : des femmes intercédèrent en sa faveur ; au lieu de le tuer on se contenta de le dépouiller, puis on le rendit, trois jours après, non loin de là, au poste des Saules.

Michel Antar.

(La suite prochainement.)

  1. Leur coup fait, les Djeramma plièrent les tentes et s’enfuirent au Maroc. Ils sont encore maintenant avec Bou Amama. Dans leur exode hors de notre territoire, ils se donnèrent la satisfaction de forcer leur ancien caïd, fait prisonnier par eux, à les servir comme chamelier. — Un monument commémoratif a été élevé au lieutenant Weinbrenner au lieu dit : Bouïb bou Zouleï, où il fut assassiné.
COMME NEIGE AU SOLEIL… (Suite.)

III


La neige ne tombait plus, mais elle encombrait la chaussée et les trottoirs, si souillée déjà par les fumées d’usines, qu’on ne la distinguait plus du ciel gris.

D’un pas alerte et résolu qui ne ressemblait d’aucune façon au pas traînant et découragé