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menée ; mais j’avais peur que maman ne me retînt à la maison, et je veux m’amuser à ma guise, le samedi, après toute une semaine d’école.

— Tu la détestes donc toujours autant cette école ? demanda Doris.

— La classe m’intéresse, mais les élèves sont si mal élevés. Quelle différence avec ceux de mon ancienne école ! répliqua Jock d’une voix triste.

— Pauvre chéri ! murmura Doris ; puis elle ajouta en soupirant : J’ai entendu maman dire qu’il faudra te placer comme commis dès que tu seras en âge ; elle n’a pas les moyens d’achever ton instruction. Elle ne veut pas non plus que tu t’absorbes dans des inventions, alors que tu devrais penser à des choses plus sérieuses.

— Maman ne veut pas me comprendre ! s’écria Jock impatienté ; ne trouves-tu pas, Doris, que je doive me préparer à la carrière vers laquelle m’inclinent mes aptitudes ? Regarde mon jeu, comme tu l’appelles, ajouta-t-il, en montrant le ruisseau. Que penses-tu de cela ?

— C’est un pont, un pont en pierre semblable à celui qui est sur la rivière. Mais ce n’est qu’un jeu, après tout.

— Non, c’est quelque chose de plus, s’écria Jock s’animant ; c’est un essai sérieux. Hier au soir, je lisais l’histoire d’un homme devenu célèbre et riche pour avoir bâti un pont là où nul, avant lui, n’avait réussi à en construire un. Une foule de choses manquent dans le monde ; quand je serai grand, je ferai quelque travail utile à tous, et qui me survivra. »

Sa petite sœur le contemplait avec admiration.

« Oh ! j’espère que tu réussiras ; puis je voudrais te voir gagner un peu d’argent ; je suis bien fatiguée d’être pauvre. Quand papa est mort, il ne devait pas prévoir combien nous serions misérables, n’est-ce pas ?

— Non, tous nos malheurs sont arrivés depuis qu’il nous a quittés. En me disant adieu, il m’a fait promettre de prendre toujours soin de toi et de maman. Certes, il ne se doutait pas alors combien dure serait ma tâche. Mais je serai fidèle à mes engagements, je travaillerai pour vous donner à toutes deux un peu de bien-être. »

Doris approuva d’un signe de tête.

« Ce sera charmant », dit-elle ; puis, après quelques instants de réflexion, elle ajouta :

« Quoi qu’il en soit, il est heureux que nous soyons réduits à habiter la ferme. En ville, tu n’aurais pas même pu loger Tramp[1]. »

À son nom, le chien bondit, remuant la queue et aboyant joyeusement.

Jock tendit la main à sa petite sœur :

« Rentrons, Doris ; il est l’heure du thé. »

Après quelques pas, Doris s’arrêta.

« Regarde donc, Jock, ce singulier personnage. Il se dirige vers la maison.

— Tiens, s’écria Jock, le voilà qui ouvre la porte du jardin. Ah ! un visiteur enfin !… Dépêchons-nous pour voir qui c’est. »

Les enfants partirent en courant, ne s’arrêtant que lorsqu’ils eurent atteint la porte de leur jardin.

Là, Jock appela son chien ; puis il dit d’un ton d’autorité : « Entre, Doris ; moi, je vais mettre Tramp à l’attache ; maman ne peut le souffrir dans la maison. »

Et l’obéissante Doris descendit l’allée du jardin. Après avoir traversé le vestibule, elle entrebâilla la porte du salon, d’où sortait un vague murmure de voix.

« Voici Doris, monsieur Harrison, dit sa mère en la voyant. Salue monsieur, Doris ; il est venu du Derbyshire pour nous rendre visite. »

Doris s’avança et, à sa grande surprise, le vieux monsieur se pencha pour lui donner un baiser. Levant les yeux vers lui, elle aperçut une figure ronde, vermeille, encadrée de cheveux blancs, et des yeux bleus lui souriant si aimablement qu’elle sourit à son tour.

  1. Vagabond.