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Je ne me suis pas ennuyé un instant. Brigitte n’en voudra rien croire. Pauvre grand’mère ! Qui sait, si… À son âge, la vie devient bien fragile. Ces bons vieux s’endorment pour toujours presque sans qu’il y paraisse. »

Soudain, une réflexion lui traversa l’esprit : que deviendrait Claire si, subitement, grand’mère venait à mourir ?

Elle avait ses défauts, la petite cousine, mais elle avait aussi quelques bons côtés. Pas le moindre détour ! Elle envoyait aux gens des vérités qui ressemblaient un peu à des coups de boutoir, mais on n’avait nul effort à faire pour démêler ce qu’elle pensait.

Somme toute, s’ils s’étaient un peu et même beaucoup taquinés en cette quinzaine, ils se quittaient meilleurs amis qu’auparavant…

Oui… que deviendrait-elle, seule à Arlempdes, loin de tout appui ?

Il y songerait, et, avant de partir, en causerait avec elle : il faut tout prévoir.

Mais la matinée du lendemain n’eut que la durée d’un éclair. L’heure des adieux sonna à la vieille horloge, sans que l’occasion se fut offerte d’aborder ce sujet.

Germain était parti devant, afin de monter au château chercher la caisse renfermant le portrait de Clairette.

Hervé rejoindrait la jardinière à mi-côte.

Il avait pris ces dispositions avec l’espoir que sa cousine l’accompagnerait ce bout de chemin ; il en eût profité pour lui parler de ce qui le préoccupait.

Elle avait d’abord dit oui, puis, au dernier moment, elle se ravisa. Et, après avoir vu son cousin franchir le seuil de la vieille maison, elle monta dans l’atelier.

Qu’avait-elle ? Si on le lui eût demandé, elle aurait répondu : « Je n’en sais rien. » Et, en parlant ainsi, elle eût été presque sincère…

Elle pleurait cependant, elle pleurait avec la violence d’un enfant à qui on résiste ; ses mains s’étaient nouées à l’espagnolette de la fenêtre devant laquelle elle se tenait debout ; son front se glaçait contre la vitre rendue opaque par le gel.

Quelqu’un monta, qui s’arrêta sur le seuil, et qu’elle n’entendit point. C’était Hervé.

Il n’avait pu se décider à partir sans s’être concerté avec sa cousine, sans lui avoir bien fait toutes ses recommandations au sujet de leur bonne vieille grand’mère.

Interdit par ces larmes qu’il devinait au mouvement des épaules, il hésitait…

Enfin, prenant son parti :

« Claire, vous pleurez ?… » dit-il un peu troublé.

La jeune fille tressaillit.

D’un geste rapide, avant de se retourner, elle passa la main sur ses yeux.

« Où voyez-vous que je pleure » ? fit-elle d’une voix dure.

Puis, sentant qu’elle ne pouvait nier l’évidence : « C’est ce froid qui m’arrache des larmes. »

Il vint à elle, lui saisit les deux mains, et, sans insister, prononça :

« Je suis revenu parce que j’avais omis de vous demander quelque chose, ma cousine. Si grand’mère tombait malade, à la moindre inquiétude que vous donnera sa santé, — tout est grave chez les vieillards — je vous supplie de m’envoyer une dépêche. Où que je sois, j’accourrai.

— Où que vous soyez ?… même en voyage avec votre sœur et… ses amis ?

— N’importe où, répondit-il, sans paraître remarquer l’intention ironique de ces derniers mots. Vous n’avez qu’à m’envoyer un télégramme à Paris, boulevard Malesherbes, on saura où me le faire tenir : j’aurai votre dépêche deux heures après. Je me figure que ce vous serait une tranquillité et que ma grand’mère serait contente de me voir auprès d’elle. Moi-même… je…

— C’est promis, interrompit la jeune fille ;