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avaient dû inventer quelque jeu tranquille, — du moins le supposions-nous ; — nous ne les entendions plus.

« J’en fis l’observation. « Ils goûtent, c’est probable, me dit Guyonne, et Froufrou avec eux ; elle ne m’a pas suivie. »

« Mon salon s’emplissait. À cinq heures, je fais servir le thé. Lilou et Pompon se faufilent à la suite des plateaux.

« Un rat ! » s’écria une de mes amies, pour qui le rat est la bête d’aversion, et elle me montre du doigt l’horrible chose qui marche sur les talons de Lilou.

« Tout le monde regarde… on éclate de rire ! impossible d’y résister… le rat, c’était Froufrou : Froufrou sans un poil sur le corps : tes fils avaient imaginé de la tondre !

« Je n’ai jamais rien vu d’aussi laid que cette malheureuse petite bête arrangée ainsi.

« N’ayant pas conscience de sa métamorphose, Froufrou saute sur les genoux de sa maîtresse, et, comme celle-ci la repousse, elle fait toutes ses grâces afin de la fléchir : le comble du grotesque !

« Les rires redoublent. Guyonne est si belle que les bonnes petites amies n’étaient pas fâchées de la voir victime de cette sotte aventure.

« À ce moment mon mari entre.

« — Monsieur de Ludan, s’écrie Guyonne, je vous en prie, débarrassez-moi de ce monstre ! que jamais plus je ne le revoie ; j’en prendrais une crise de nerfs. »

« Albin demande ce qui l’a ainsi défigurée.

« — Tonton, c’est nous qui lui a ôté ses « plumes » avec les ciseaux de Kate, déclare Pompon, pas contrit du tout.

« — Oui, ajoute Lilou, l’air également glorieux de cet exploit ; elle faisait pas bien le cirque, à cause ça lui tiendait chaud, ces « plumes ». Elle a bien mieux couri après. »

« Impossible de reprendre son sérieux devant cette explication convaincue. À la place de Guyonne, je me serais fâchée. Il faut qu’elle, ait un caractère idéal ! J’ai bien reconnu là ma Guyonne de jadis ! Une fois le sacrifice de sa petite chienne accompli, elle a caressé tes enfants comme si de rien n’était. »

— Moi, interrompit Claire, je les aurais fouettés, mis au pain sec, punis n’importe comment, enfin, et j’aurais fait un manteau à leur victime, au lieu de la condamner à l’exil ; car je suppose que cette demoiselle n’a pas été jusqu’à exiger la mort de la pauvre Froufrou. »

Hervé avait écouté en souriant l’observation lancée avec vivacité par sa cousine.

À présent il songeait, oubliant que la lettre avait encore quatre pages pleines, dont il avait négligé de prendre connaissance avant de commencer sa lecture.

Un pli s’était creusé sur son front ; sa physionomie devenait tellement soucieuse que grand’mère crut devoir remarquer :

« Après tout, mon enfant, ce n’est pas un si grand crime ! À l’âge de ces petits… Je blâmerais plutôt la maîtresse de Froufrou. Quand on aime un animal, on y reste attaché, quoi qu’il advienne, ce me semble. »

Et, se penchant un peu, elle caressa la vieille chatte aveugle qui reposait dans une corbeille au coin du feu.

« Oui, approuva Hervé, toujours songeur, je pense, moi aussi, qu’une affection est bien fragile, si on la fait dépendre de la beauté. Mais je n’ai pas fini… »

Il jeta un coup d’œil sur ce qui lui restait à lire.

« Ah ! mon Dieu !

— Quoi ! qu’ont-ils fait ? s’exclama Claire. Voyez-vous, mon cousin, ils n’ont pas assez d’espace dans un appartement. Leur esprit travaille en sens inverse du repos imposé à leurs jambes. C’est grave, ce qui suit ?

— Vous allez en juger ; je reprends :

« Je souhaiterais pouvoir t’annoncer que c’est enfin tout, mon cher Hervé, mais ils nous en réservaient encore une, et de taille !