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difficile de rétablir le texte, surtout pour moi qui suis accoutumée à leur façon de dire ; ils sont si francs !.

— Ils sont francs… comme beaucoup d’enfants, lorsqu’ils ne voient pas une punition au bout d’un aveu. Avec quelque adresse, on parvient à leur arracher la vérité, c’est certain. N’empêche qu’ils sont pleins d’imagination. Tout dernièrement encore j’ai pu me convaincre, en les interrogeant, qu’ils ne s’étaient pas privés d’ajouter des réflexions de leur cru à une observation que j’avais jugé utile de leur faire. C’était à votre propos, Clairette.

— J’ai compris, mon cousin. Ne vous embarrassez pas de cela. J’espère que vous ne les avez pas grondés.

— J’ai fait mieux… je leur ai dit que vous étiez fâchée.

— Fâchée ! interrompit la jeune fille d’un ton hautain ; pourquoi leur avez-vous fait ce mensonge ?

— Pour pouvoir ajouter que vous me défendiez de revenir à Arlempdes, — ceci n’était point un mensonge, le post-scriptum de votre lettre en faisait foi — et que, par conséquent, eux non plus n’y pourraient revenir. Si vous aviez entendu ces cris !

— Je crois les entendre », fit Claire amusée.

Mais elle reprit tout de suite, redevenue sérieuse :

« N’importe, vous avez eu tort de gronder ces petits à ce sujet. Cela les empêchera de se montrer confiants à l’avenir, et c’est à mes yeux leur grand charme. Laissez-moi le soin de les décourager de me vouloir pour maman, ajouta-t-elle avec une assurance tranquille : je m’en charge. »

Ces derniers mots furent lancés d’un ton de cinglante ironie.

« Je craignais que leurs sollicitations obstinées ne vous fussent par trop désagréables, ma cousine, repartit de Kosen qui se sentait fort mal à l’aise.

— Eh bien, à l’avenir, que cela ne vous tracasse pas. Tout ce qui leur vient à l’esprit, ils le demandent avec la même insistance. J’ai appris à résister à leurs caprices : à vrai dire, je crois que je ne leur en ai jamais passé !

— Comme on s’abuse, fit-il, riant franchement cette fois.

— Avez-vous bientôt fini de vous disputer, deux mauvaises têtes, s’écria l’aïeule qui n’avait pas compris grand’chose à ce débat. Si vous commencez dès ce soir !…

— Ah bien ! entre cousins, s’il faut prendre des gants pour se dire ce qu’on pense ! » protesta Claire moqueuse.

« Mais, reprit-elle, abandonnant pour un instant la joute ébauchée, je ne vous ai remercié que des portraits, Hervé. Et encore… l’ai-je fait ? Je n’en suis pas certaine. En tout cas, merci du cadre ; c’est une merveille. Il est d’un goût exquis. C’est à Thérèse que vous avez demandé conseil, j’en suis sûre.

— Si vous en êtes sûre… fit-il un peu narquois.

— Allons, bon ! Voilà que j’ai dit une bêtise.

— Vous avez dit une vérité, ce qui n’y ressemble pas du tout.

— Mais j’ai eu l’air, en l’énonçant, de vous juger incapable d’un pareil choix à vous tout seul : ceci est loin de ma pensée.

— Hem !…

— Tenez, venez m’aider à mettre le couvert : ici tout le monde travaille, à présent. »

Hervé obéit, empressé !

Il songeait :

« Nous allons nous faire une guerre de peaux-rouges, si cela continue, la petite cousine et moi. »

De son côté elle se disait, tout en lui lançant l’un des bouts de la nappe :

« Je vais le confirmer dans sa bonne opinion sur mon caractère ; il peut s’y attendre. Ce que cela va être amusant de se chamailler un peu !… »

Le dîner se passa gaiement.

Le terrain était déblayé, les bavardages des