Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un vaillant, toi !… Donne un coup de balai !… Tu déjeuneras ensuite !… »

Et lorsque le petit garçon eut avalé, loin des yeux de son maître, un grand bol de lait, et dévoré à belles dents un beau quignon bien croquant, l’émailleur l’appela :

« Jaquissou ! Viens ici, que je te donne ta première leçon ! »

Cette première leçon fut pour l’apprenti un merveilleux voyage de découvertes : il apprit que les métaux qu’on recouvre d’émail sont le cuivre, l’or et l’argent, que l’émail doit être broyé, mais non réduit en poudre impalpable, qu’on le lave avec soin, et qu’on l’étend sur les plaques avec des spatules d’acier ; il apprit aussi qu’on compose d’abord son sujet sur du papier, et qu’on le décalque ensuite. Pour être un habile émailleur, il fallait donc savoir bien dessiner ! Jaquissou ne demandait pas mieux que d’apprendre… Pendant les longues journées d’été qu’il passait dans les champs du père Bourineau, il s’amusait à sculpter le bois.

Une fois, même, il avait fait une canne dont la pomme était le portrait de son maître : tout le monde dans le pays avait reconnu le fermier.

L’émailleur fut très surpris des dispositions naturelles de son apprenti ; l’enfant s’y prenait mal, commençait un profil par le cou, mais enfin cela tenait !

« Allons ! dit-il en se frottant les mains, je ferai quelque chose de toi !… À présent, tu vas aller aux provisions… Tu rapporteras un bifteck et des pommes de terre ! Prends garde par exemple de te tromper de fournisseurs… Mon boucher est le cinquième à droite dans la rue des Boucheries, un brave homme, célibataire comme moi… Quant au marchand de légumes, il habite au coin de cette rue… C’est un vieux soldat qui déteste le bruit chez lui !… Il a, comme moi aussi, horreur de ces petits êtres malfaisants, tracassiers, indiscrets et tapageurs qu’on appelle les enfants !…

— Oh ! monsieur, je les aime tant, moi ! À Chambeyrac, tous les mioches du pays venaient me rejoindre quand je gardais mes vaches, et je leur racontais des histoires… Il fallait les voir, sages comme des images !…

— Les enfants de Chambeyrac ne ressemblent pas aux autres, probablement… »

Jaquissou jeta un regard furtif vers le bébé blond, aperçu la veille, qui riait sur une table, dans un coin de l’atelier.

« À Limoges, ils sont insupportables, continua l’émailleur… Ainsi, tiens, celui-ci… le fils d’un grand manufacturier de porcelaine !… j’ai cru qu’il me ferait perdre l’esprit, pendant que je prenais un croquis pour son portrait : il échappait à sa bonne, il me grimpait dans le dos, il me tirait les cheveux… Une fois même, il est allé chercher le soufflet pour me souffler dans l’oreille… Tous odieux ! je te dis, tous !… »

Jaquissou jugea que l’on ne change pas les gens du jour au lendemain, et, renonçant à discuter davantage, il prit le panier de marché et gagna la rue.

(La suite prochainement.) J. de Coulomb.


FILLE UNIQUE

CHAPITRE XIII


Les volets sont clos. D’énormes bûches flambent dans la cheminée, tout auprès de laquelle grand’mère Andelot et sa petite-fille sont assises.

L’horloge vient de sonner six coups ; il est nuit depuis longtemps.

L’angélus a tinté tout à l’heure à Arlempdes, mais, comme le vent s’enfile à travers la gorge, âpre et violent, les cloches continuent de jacasser seules dans leur campanile ajouré,