Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/492

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
100
JULES VERNE

Mont Pelé… qui n’est pas pelé du tout… Il est vert et boisé comme toutes les montagnes de mon île !… Et vous en verrez bien d’autres dans mon île… si nous gravissons la montagne du Vauclin !… Et, que vous le vouliez ou non, il faudra bien admirer mon île… la plus belle des Antilles ! »

On le laissa s’emballer, car il avait la riposte vive, ce pétulant garçon.

Toute exagération à part, Tony Renault ne s’aventurait pas en vantant la Martinique. Par sa superficie, cette île occupe le second rang de la chaîne antiliane, soit neuf cent quatre-vingt-sept kilomètres carrés, et ne compte pas moins de cent soixante-dix-sept mille habitants, soit dix mille blancs, quinze mille asiatiques, cent cinquante mille noirs et gens de couleur pour la plupart d’origine martiniquaise. Elle est entièrement montagneuse et couverte de magnifiques forêts jusqu’à ses plus hautes cimes. Quant au réseau hydrographique, nécessaire à la fertilité de son sol, il permet de lutter contre les chaleurs de la zone tropicale. La plupart de ses rivières sont navigables et ses ports accessibles aux bâtiments de fort tonnage.

Pendant cette journée, la brise continua de souffler faiblement. Elle ne fraîchit un peu que dans l’après-midi, et les vigies relevèrent alors la pointe Macouba à l’extrémité septentrionale de la Martinique.

La nuit, vers une heure, le vent prit plus de force, et l’Alert, qui avait conservé toute sa voilure, put faire bonne route en contournant l’île par l’ouest.

Aux premières heures de l’aube apparut le morne Jacob, moins éloigné du centre que le Mont Pelé, dont la cime se dégagea bientôt des basses vapeurs du matin.

Vers sept heures, une ville se montra sur le littoral, presque à l’extrémité nord-ouest de l’île.

Tony Renault de s’écrier à ce moment : « Saint-Pierre Martinique ! »

Et il chanta à pleine voix le refrain de la vieille chanson française :

C’est le pays qui m’a donné le jour !

C’était à Saint-Pierre, en effet, qu’était né Tony Renault. Mais, en quittant la Martinique pour venir se fixer en France, sa famille n’y avait laissé aucun parent.

Fort-de-France, situé plus au sud sur le même littoral, à l’entrée de la baie de ce nom, après s’être primitivement appelé Fort-Roque, est la capitale de la Martinique. Cependant le commerce n’y a pas pris un développement aussi considérable qu’à Saint-Pierre, dont la population est de vingt-six mille habitants, celle de Fort-de-France étant moindre de deux cinquièmes. Les autres principales villes de la Martinique sont, sur la côte ouest, le bourg de Laurentin, plus au sud, le bourg du Saint-Esprit, le bourg du Diamant, le bourg du Menu, et, à l’extrémité de l’île, le bourg de la Trinité.

À Saint-Pierre, le chef-lieu administratif de la colonie, les échanges ne sont pas aussi contrariés par les règlements militaires qu’à Fort-de-France, qui, avec les forts du Tribut et du Mouillage, puissamment armés, assure la défense de l’île[1].

Neuf heures du matin sonnaient lorsque l’Alert vint jeter l’ancre dans la baie circulaire où s’ouvre le port. Au fond, la ville, qu’une petite rivière guéable divise en deux parties, est abritée contre les vents de l’est par une haute montagne.

Élisée Reclus rapporte volontiers ce que l’historien Dutertre a dit de Saint-Pierre, « une de ces villes que l’étranger n’oublie

  1. Il convient de rappeler ici le désastre qui, quelques années plus tard, allait frapper la Martinique. Dans la matinée du 8 mai 1902, tremblement de terre et éruptions ont détruit une partie de l’île. Saint-Pierre, située à vingt-deux kilomètres de Fort-de-France, fut ravagée par les vapeurs et les cendres que vomissait le cratère de la montagne Pelée. Des milliers d’habitants périrent par l’asphyxie due à l’inhalation de l’air chaud. D’ailleurs, l’île ne fut ravagée que du côté faisant face à la mer des Caraïbes, qui est franchement volcanique.