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rire, tant la physionomie de Gérard respirait de bonne humeur et de franchise.

« Enfin, que demandez-vô ?

— Tout simplement la faculté de circuler à bord et celle de vous aider à sortir d’affaire, si c’est possible.

— Ce n’être pas probable…

— Les avaries sont donc très sérieuses ?

— Très… vô avez cassé le hélice et le gouvernail… smashed[1] !

— Alors, nous marchons à l’aventure ?

— À l’aventioure… exactement…

— Et vous ne savez pas où nous sommes ?

— Noâ…

— Il a, sans doute, été impossible de prendre le point depuis le début de la tempête ?…

— Impossible…

— Mais nous allons à la dérive vers le sud, si j’en crois ma boussole de poche.

— La dérive ?…

Drifting, commandant, drifting !… Eh bien, vous allez nous permettre de drift avec vous, car je vous déclare que l’atmosphère confinée de cette infirmerie est tout simplement intolérable… Je cours chercher mes compagnons… »

Interprétant le silence du commandant comme un consentement tacite, Gérard ne fit qu’un tour en bas et ne tarda pas à reparaître suivi d’Henri et de M. Wéber. Quant à Le Guen, il se dirigea droit vers l’avant et se plaça parmi les hommes de l’équipage avec une assurance tranquille qui imposa d’emblée silence aux mauvaises volontés.

M. Wéber et Henri, se penchant à l’arrière au-dessus de l’hélice, constatèrent que les avaries paraissaient sans remède tant qu’on tiendrait la mer.

« Je serais curieux, commandant, dit alors Henri, de visiter les débris de mon aviateur ; il paraît que vous les avez recueillis en même temps que nous ? »

Prenant son parti de la situation, le commandant donna l’ordre de conduire le jeune inventeur à la soute où gisaient en un tas lamentable les restes de l’Epiornis.

Henri constata avec douleur que le désastre était irréparable. Non seulement l’articulation de l’aile droite de l’oiseau mécanique avait été brisée par le projectile, mais la chute de la machine sur l’arrière du Silure avait complètement déformé la carcasse et faussé les organes de transmission du mouvement. Enfin, les sauveteurs eux-mêmes avaient sans doute leur part dans les avaries et devaient avoir dépecé les membres à grands coups de hache, pour les relever et les hisser plus aisément, car ils ne présentaient plus forme normale.

Par contre, les matelots, avec la sollicitude caractéristique de leur état, avaient recueilli jusqu’aux moindres débris, pour les ranger en bon ordre, comme des branches de bois mort, sur les deux côtés de la soute. Involontairement, Henri compara ces amas à des bûchers funéraires, — les bûchers de son entreprise et de son espoir. — Celui de gauche avait pour motif central la cage thoracique béante et défoncée ; celui de droite, l’énorme crâne de l’oiseau défunt.

Voyant une petite échelle de fer dans un coin de la cale, il s’en servit pour monter jusqu’à ce crâne et y pénétrer. Il put reconnaître, du premier coup d’œil, que l’épaisseur de la boîte métallique avait heureusement protégé le moteur, qui n’avait pas souffert, étant d’ailleurs peu délicat de sa nature. Le mouvement d’horlogerie qui le mettait en action avait seulement été séparé de la bobine d’induction, sans doute au moment de la chute de l’aviateur sur l’arrière du Silure, et s’était arrêté net.

Circonstance qui avait eu pour effet immédiat d’interrompre la production de force électrique, en déterminant ce que les techniciens appellent un « court circuit », et qui pouvait être considérée comme heureuse, car

  1. Fracassé.