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langue par le commandant, force fut à celui-ci de s’en prendre au français invertébré que nos voisins rapportent habituellement de leurs années de collège — bagage presque aussi insuffisant que l’anglais appris dans nos lycées.

« Jé volé demandé à vo que vo mé donné vo papiers ! articula-t-il, plongeant résolument en plein charabia.

— Quels papiers ?

— Passeports, références, carnets de chèques, toutes pièces établissant identité.

— Quand même nous serions en possession des documents que vous énumérez, dit Henri fermement, nous ne nous croirions nullement obligés de les produire sur la sommation du premier venu !

— Le premier venu ! Je suis le maître ici. Je suis le capitaine Marston, commandant H. M. S. Silure ! dit l’officier se redressant de toute sa hauteur.

— C’est ce que vous aviez totalement négligé de nous apprendre, fit Gérard tranquillement. Et nous pourrions à notre tour vous inviter à nous montrer des papiers justifiant ce titre.

— Moa !  !  ! vo !  !  ! demander papiers à moa !  ! protesta le commandant, les yeux lui sortant de la tête dans l’excès de sa stupéfaction.

— Qu’est-ce que cette requête aurait de plus exorbitant que la vôtre ? Nous ne sommes pas, que je sache, vos subordonnés. Nous sommes des hommes libres… tombés de l’air libre sur votre pont, et d’ailleurs par votre faute !…

— Vous êtes mes prisonniers ! interrompit rudement l’officier, arrêtés en flagrant délit de contrebande sur nos mers !… Vous aurez à justifier de vos démarches ! ou vous saurez ce qu’il vous en coûtera !

Contrebande !Vos mers !… répéta Gérard, l’œil en feu. Voilà des mots malsonnants que nous ne tolérerons pas. Nous nous promenions en plein ciel quand votre obus est venu sournoisement nous atteindre ; c’est à nous de vous demander raison pour le dommage gratuitement infligé à notre propriété, à nos affaires et à nos personnes.

— Vous n’avez à me demander raison de rien, et je n’ai pas à me justifier devant vous.

— Voilà qui passe la mesure ! s’écria Gérard tout à fait monté. J’ai à vous dire, monsieur, que je refuse, quant à moi, de continuer cet impertinent entretien.

— Et moi j’ai à vous dire qu’on saura bien vous forcer à le reprendre, quand et comme on voudra !

— Vraiment ? Et quelle sera votre méthode ? Posséderiez-vous par hasard des chambres de torture, à bord de ce sous-marin ?

— Nous possédons des conseils de guerre qui ne sont pas très loin d’ici.

— Nous ne saurions être passibles de vos conseils de guerre ! protesta Henri.

— Vous avez forcé le blocus…

— C’est vous qui le dites.

— … Et je ne vous lâcherai que pour vous remettre aux mains de la justice militaire.

— De quel droit ? De quel droit osez-vous préméditer des violences aussi graves contre de libres citoyens ?

— Du droit du plus fort ! Je vous tiens, je vous garde, hurla le commandant, tout à fait furieux et ne mesurant plus ses paroles.

— Après ce mot, monsieur, dit Henri avec dignité, je me joins à mon frère pour vous déclarer que je refuse de poursuivre un pareil entretien.

— Moi de même, articula Wéber avec un flegme parfait.

— À votre aise !… Vous saurez ce qu’il vous en coûtera ! »

L’Anglais se retira ; quelques instants plus tard, un officier qui, d’après ses insignes, devait être le second, venait informer nos voyageurs qu’ils étaient mis aux arrêts, et que, jusqu’à l’arrivée à Durban, ils étaient tenus rigoureusement de garder l’infirmerie, qui leur servirait de cabine. Arrivés à Durban, ils seraient déférés au conseil de guerre ;