Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/466

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2
J. DE COULOMB

trefois et, devant le brasier, un vieillard de haute taille, dont une houppelande brune enserre la maigreur. De longs cheveux blancs s’échappent de son bonnet de velours ; une grande barbe descend sur sa poitrine ; l’inconnu rappelle un peu le Moïse qui orne la salle du presbytère à Chambeyrac.

Il tient une espèce de fourche sur laquelle repose un objet rond en forme d’assiette, et, avec mille précautions, il introduit cette assiette dans le four.

Jaquissou ne sent plus le froid, ni la faim ; ce qu’il voit le surprend tellement qu’il ne sait s’il dort ou s’il veille…

La longue barbe retire son assiette du four ; elle est rouge comme une braise ; il l’apporte près de la fenêtre sur une table de pierre…

Jaquissou écarquille les yeux pour ne rien perdre de l’étrange spectacle… Peu à peu, le rouge de braise se fane, diminue, s’éteint, et, à mesure qu’il disparaît, se dessine une exquise figure de bébé blond et rose, dont les yeux rappellent les myosotis qui croissent au bord des ruisseaux.

Comment ce poupon qui rit aux éclats a-t-il surgi à l’endroit où tout à l’heure on ne voyait que du feu !… Jaquissou n’y comprend goutte !… À ce moment, le sorcier, — il l’appelle ainsi dans son esprit troublé, — lève les yeux ; s’il allait apercevoir l’indiscret ? Le petit garçon dégringole de son poste d’observation et court se cacher derrière la borne… Le vent ne soufflait plus en bourrasque ; à présent, la neige tombait lentement et tout droit… Elle s’amoncelait déjà sous le porche en ourlet floconneux… Bientôt, elle recouvrirait l’enfant sans asile qui s’abandonnait à elle…

Jaquissou frissonna et se pelotonna contre le mur. Le sommeil l’envahissait… Vaguement, il se souvint d’histoires entendues jadis… Des chemineaux endormis dans la neige que le garde champêtre ne pouvait plus réveiller, le lendemain matin…

Pourquoi ne se laisserait-il pas glisser dans cette douce langueur ? Il quitterait ce monde égoïste, où toutes les portes restaient impitoyablement fermées aux orphelins, pour s’envoler vers le beau pays de lumière où des bras caressants se tendraient pour l’accueillir. Tout à coup une idée, trouble d’abord, puis plus précise, secoua son engourdissement et le remit debout, tout chancelant.

La mort volontaire ?… Mais Dieu la condamne ! C’est en toutes lettres dans le catéchisme ! … Jaquissou ne voulut pas succomber à la tentation de chercher dans un sommeil perfide l’oubli des tristesses de l’heure présente. Résolument, il ramassa son paquet et cingla vers la vieille maison où la fenêtre éclairée brillait comme un phare.


II


Le voici devant l’étroite porte ogivale sur laquelle des clous à tête ronde dessinent une figure géométrique ; il cherche le marteau, dont le seul contact le glace jusqu’aux os.

Pan ! un grand coup ! Ma foi ! c’est fait ! advienne que pourra !…

L’appel du heurtoir interrompit net un bruit de tisonnier qui arrivait de l’intérieur ; un grognement d’impatience prouva que le vieillard mystérieux avait entendu et qu’il n’aimait point à être dérangé…

« Qui est là ? demanda une voix grondeuse.

— C’est moi, monsieur !

— Qui, toi ?

— Jaquissou Cabussière, un petit garçon qui meurt de faim et de froid !… »

La porte s’ouvrit, et le bonhomme parut une lampe à la main. Il toisa le pauvret qui se tenait devant lui tout transi.

« D’où sors-tu ? grommela-t-il.

— De Chambeyrac, monsieur ! Ma mère est morte… L’oncle que je venais retrouver ici est parti pour l’Amérique… Je n’ai pas d’ar-