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JULES VERNE

plier Neptune de jeter son célèbre Quos ego aux flots courroucés de l’Atlantique !

— Je l’espère aussi, monsieur Patterson, puisque les traversées d’aller et retour vont s’effectuer pendant la belle saison.

— En effet, répondit l’économe, juillet et août sont les mois de repos préférés de la Capricieuse Téthys…

— Aussi, ajouta M. Ardagh, cette navigation sera-t-elle non moins agréable pour mes lauréats que pour la personne qui doit les accompagner pendant le voyage…

— Personne, dit M. Patterson, qui aura de plus l’agréable tâche de présenter à Mrs Kethlen Seymour les respectueux hommages et la sympathique reconnaissance des pensionnaires d’Antilian School.

— Or, reprit le directeur, j’ai le regret que cette personne ne puisse être moi. Mais, en fin de l’année scolaire, à la veille des examens que je dois présider, mon absence est impossible.

— Impossible, monsieur le directeur, répondit l’économe, et il ne sera pas à plaindre, quel qu’il soit, celui qui sera appelé à prendre votre place.

— Assurément, et je n’aurais eu que l’embarras du choix. Or, il me fallait un homme de toute confiance sur lequel je pusse entièrement compter et qui serait agréé sans conteste par les familles de nos jeunes boursiers… Eh bien, cet homme, je l’ai trouvé dans le personnel de l’établissement…

— Je vous en félicite, monsieur le directeur. C’est, sans doute, un des professeurs de sciences, ou de lettres…

— Non, car il ne peut être question d’interrompre les études jusqu’aux vacances. Mais il m’a paru que cette interruption présenterait moins d’inconvénients pour ce qui concerne la situation financière de l’école, et c’est vous, monsieur l’économe, dont j’ai fait choix pour accompagner nos jeunes garçons aux Antilles… »

M. Patterson n’avait pu réprimer un mouvement de surprise. Se relevant tout d’une pièce, il avait ôté ses lunettes.

« Moi… monsieur le proviseur ?… dit-il d’une voix un peu troublée.

— Vous-même, monsieur Patterson, et je suis certain que la comptabilité de ce voyage de boursiers sera aussi régulièrement tenue que celle de l’école. »

M. Patterson, du coin de son mouchoir, essuya le verre des lunettes légèrement brouillées par la buée de ses yeux.

« J’ajoute, dit M. Ardagh, que, grâce à la munificence de Mrs Kethlen Seymour, une prime de sept cents livres est également réservée au mentor qui sera honoré de ces fonctions importantes. Je vous prierai donc, monsieur Patterson, d’être prêt à partir dans cinq jours. »

III
M. et Mrs Patterson.

Si M. Horatio Patterson occupait la place d’économe à Antilian School, c’est qu’il avait abandonné la carrière du professorat pour celle de l’administration. C’était un latiniste convaincu, et, en Angleterre, la langue de Virgile et de Cicéron n’a pas la considération dont elle jouit en France, qui lui réserve un haut rang dans le monde universitaire. La race française, il est vrai, peut revendiquer une origine latine à laquelle ne prétendent point les fils d’Albion, et peut-être, dans ce pays, le latin résistera-t-il aux envahissements de renseignement moderne ?

Mais, s’il ne professait plus, M. Patterson n’en restait pas moins fidèle, dans le fond de son cœur, à ces maîtres de l’antiquité romaine dont il avait le culte. Tout en se remémorant nombre de citations de Virgile, d’Ovide ou d’Horace, il consacrait ses qualités de comptable exact et méthodique à l’administration