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— Une ile, une île, répétait Henri perplexe. On a établi des camps de concentration dans plusieurs îles. Il y en a un à Sainte-Hèlène… un à Ceylan.

Ceylan ! s’écrie la vieille toute contente. C’est cela même ! Ceylan près de Londres : là où le roi a son palais de Windsor !

— Oh ! tante Anik ! Êtes-vous bien sûre d’avoir entendu ce nom ? Pensez bien à ce que vous me dites, je vous en conjure !…

— Hélas ! mon bon monsieur, fait la vieille prisonnière, les larmes commençant à couler sur son visage flétri, je veux bien vous dire tout ce que je sais, moi… Et il faut me pardonner si j’ai un peu perdu la tête, après tous les malheurs que j’ai vus… mes fils, vous vous les rappelez, monsieur Henri ?

— Certes, je me les rappelle : de beaux garçons, de braves cœurs, de vrais Boers !…

— Ah oui ! des vrais… Ils y sont tous restés, tous ! fils et petits-fils !… »

Et la malheureuse ouvre ses deux bras d’un geste désolé…

« Tous, jusqu’à mon petit Alau qui n’avait que onze ans.

— Alau ! Il est mort ?

— Combattant à côté de son père et de son grand-père, oui monsieur, oui monsieur. Il avait onze ans, son père trente-cinq et mon mari soixante-dix… Tous trois restés couchés là-bas, à Colenso…

— Pauvre tante Anik ! Et les autres ?…

— Deux sont tombés à Maggersfontein, un autre à Spion-Kopje… Les pleurs empêchent la malheureuse mère d’achever la triste énumération.

— Chère, chère tante Anik ! répéta Henri, le cœur broyé de pitié. Ils sont morts glorieusement pour leur pays !…

— Alors, je suis restée toute seule… mes filles, ma bru ont succombé de misère… et moi, je survis à tous… Le Seigneur m’a oubliée !…

— Ne dites pas cela !… Vous avez encore du bien à faire en ce monde. Voyez, c’est grâce à vous que je retrouverai peut-être Nicole !…

— Ah ! le Seigneur la bénisse, la sainte fille !… aussi bonne que belle… et sous son air doux, un cœur de lion !… Oui, dame Gudule était heureuse, elle aussi, en ses enfants… Et où sont-ils tous aujourd’hui ?… Les voies du Seigneur sont impénétrables… Que son nom soit béni !…

— De tous ces chers amis, pouvez-vous me donner quelque nouvelle ?… Y avait-il ici avec Nicole quelqu’un des siens ?…

— Seule ! seule ici !… Et presque seule elle reste sur la terre. Le père est tombé à Maggersfontein avec ses deux derniers garçons… Toutes les petites sœurs mortes… Vous savez comment a péri la gentille Lucinde, pauvre agneau ?…

— Oui, oui, s’écrie Henri vivement, car il sent son courage se fondre au récit de si affreuses douleurs… Mais parlez-moi de ceux qui ont été épargnés. Ne disiez-vous pas tout à l’heure que c’est en voulant courir au secours de sa mère que Nicole a été arrêtée et incarcérée dans une plus dure prison ? Dame Gudule serait donc vivante ?… Oh, donnez-moi l’assurance qu’il en est ainsi !

— Dame Gudule est demeurée seule avec son plus jeune enfant parmi les ruines de sa ferme incendiée, du moins on me l’a dit… Je ne me rappelle pas bien si c’est à la même époque que Nicole, prise les armes à la main, fut amenée parmi nous… Je n’ai plus de mémoire… Mais ce que je puis vous dire, mon bon monsieur, c’est que nous avons béni le jour où elle nous arriva comme un ange du ciel !… s’oubliant pour les autres, donnant son dernier morceau de pain, sa dernière goutte d’eau aux malades et aux affamés ; recueillant le vœu suprême des agonisants, ne perdant jamais patience ou courage, la consolation de tous !… pleurant avec ceux qui pleuraient… Ah ! quelle perte quand elle nous a quittés !… Mais ne croyez pas que ce fût pour chercher son contentement… Ayant appris par un nou-