Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/448

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sensations parfois agréables, mais que terminent de subites défaillances qui peuvent amener une mort inattendue.

Aux excitations des premiers temps, succèdent de longues somnolences accompagnées de songes que fait vite envoler un pénible réveil. L’association des idées devient, dès lors, lente, difficile. L’appétit est nul et les membres se contractent douloureusement.

Dans la troisième période, les phénomènes morbides s’accentuent. Il se fait dans tout l’organisme une désorganisation physique et intellectuelle. Les yeux sont hagards, les pupilles contractées ; puis viennent de furieux délires d’où peuvent résulter les actes les plus violents. Le cerveau se congestionne, les convulsions arrivent, alors se manifeste une hébétude finale qui se change en coma que termine la mort.

Ce n’est pas seulement en Turquie et en Chine que sévit l’opium meurtrier. L’on sait quels ravages exerce, depuis quelques années, chez les peuples européens, la terrible morphinomanie, consistant en de quotidiennes injections de morphine et qui, dans une mesure moindre, il est vrai, mais non moins irrévocablement, amène chez ses adeptes quelques-uns des symptômes les plus terribles dont les fumeurs d’opium sont les victimes désignées.

Et maintenant, ajouterons-nous, comment se fait-il qu’on s’abandonne à ces lamentables habitudes ? En échange de cet avilissement de la personnalité tout entière, de ces incurables souffrances, de ces tortures effroyables que se préparent sciemment et involontairement le fumeur d’opium et le morphinomane, que leur reste-t-il donc en compensation de tout cela ?… Quelques heures de visions fantomatiques, quelques rêves qui, fussent-ils délicieux, n’en sont pas moins suivis d’un sommeil léthargique auquel succède, à brève échéance, le plus épouvantable des réveils ! Qu’est-ce qui peut pousser ces fous, lâches et stupides, à un semblable suicide, sinon je ne sais quel coupable mépris d’une vie dont ils n’ont compris ni le sens, ni la nature, ni la majesté ?

N’y a-t-il donc pas, dans cette vie qu’ils dédaignent, assez de joies pures et nobles que nous donnent le travail, l’accomplissement du devoir quotidien et ces sentiments d’humaine fraternité qui nous inspirent la pitié, le dévouement… pour qu’ils aillent, les insensés, se plonger à l’avance dans les affres d’une mort, d’un suicide que précèdent des années d’une lente agonie pire que la mort elle-même ?

Ed. Grimard.

(La suite prochainement.)

LE GÉANT DE L’AZUR
Par ANDRÉ LAURIE

V (Suite.)
La Tour : Vingt minutes d’arrêt.

Au bout de vingt kilomètres environ, on arriva en vue d’un misérable petit hameau. « Arrêtons-nous là pour donner l’avoine à nos hôtes, dit Henri. Hé, Sakkalo ! tu dois avoir besoin de souffler !

— Moi ? Pas besoin souffler ! dit le jeune coureur, sans paraître le moins du monde incommodé par le violent exercice qu’il venait de se donner. Sakkalo marcher douze heures… selon contrat… ou père battre… »

Beaucoup trop humains pour exiger l’exécution intégrale d’un contrat aussi dur, les deux frères ne voulurent se remettre en marche qu’après un temps de réfection et de repos normal. Et telles étaient cependant les qualités d’endurance et de vélocité possédées