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mettre en retard, ces mômes-là ! s’écria René en partant à leur recherche.

— Je suis certain qu’à la voix de Mlle Claire ils accourront », dit Yucca.

La jeune fille observa :

« Si les bonnes étaient plus attentives à les garder, cela n’arriverait pas.

— Il faut bien que le personnel déjeune, repartit Brigitte.

— Déjeuner ! vous n’êtes pas dans le train, ma cousine, fit Claire en riant. Demandez à Lilou, il vous répondra qu’à cette heure-ci les domestiques boulottent. »

Mme de Ludan eut un geste consterné. Claire avait bien prévu ce résultat ; elle n’en rit que de plus belle.

« Mauvaise, lui murmura Hervé en aparté, cela vous plaît de faire ressortir devant un juge tel que ma sœur la déplorable éducation de mes fils. »

Elle eut un mouvement d’épaules insouciant. Puis, après avoir tourné l’habitation, elle appela les petits, ajoutant à leurs noms les épithètes les plus caressantes.

Au bout de cinq minutes, ils n’avaient point reparu. Il fallut bien s’avouer qu’ils devaient être ailleurs que dans le parc… mais, où ?…

Il n’était guère supposable que quelque chose leur eût fait oublier la visite aux grottes de Beth, cette promenade tant désirée. Peut-être la crainte qu’on ne revînt sur la résolution de les emmener leur avait-elle fait prendre les devants. Ils avaient pu se dire que, si on les rencontrait loin déjà du château, on serait bien forcé de les faire monter en voiture.

« Mais par où auront-ils passé ? Ils ne connaissent pas le chemin que nous allons suivre, observa le jeune papa.

— À cinq ans, on n’en pense pas si long, dit Thérèse. Le plus pressé, à mon avis, c’est d’explorer routes et sentiers sans perdre de temps. »

On se partagea les recherches. Hervé et Yucca battraient le parc en tous sens, René irait explorer le chemin reliant le château à celui qui se dirige vers Arlempdes en longeant le plateau ; le premier cocher, Césaire, descendrait vers celui qui suit la vallée.

« Et s’ils se sont dirigés du côté des bois d’Arlempdes par le pont du Camaret ? » prononça Claire.

Un effroi se peignit sur les visages, à ces mots.

Le pont du Camaret !… un vieil édifice dont les parapets s’en sont allés pierre à pierre au fond de l’eau ; un de ces ponts à dos d’âne, incommodes et dangereux, avec leur double pente, et dominant de haut la Méjeanne : en tout un passage redoutable pour des bambins de cinq ans.

« J’y vais moi-même, s’écria Hervé. Césaire, sellez-moi un cheval. »

Deux minutes plus tard, de Kosen descendait au grand trot les lacets du chemin coupant les pâturages, les champs d’orge et de seigle étagés sur la pente de la colline.

Il était fou d’angoisse. Comme il allait s’engager dans le mauvais sentier qui s’embranche de celui du château au chemin vicinal reliant les deux rives de la Méjeanne par le pont du Camaret, un jeune homme parut au bas de la pente.

En apercevant Hervé, il lui fit de la main signe qu’il était là pour lui, et, sitôt à portée d’être entendu, annonça : « Les enfants sont chez moi, monsieur de Kosen. »

Celui-ci, qui avait retenu son cheval pour écouter, se porta d’un temps de trot jusqu’auprès du nouveau venu, et mit pied à terre.

« Monsieur l’instituteur d’Arlempdes, si j’ai bonne mémoire », dit-il en lui tendant la main.

Le jeune homme inclina la tête affirmativement et reprit :

« J’ai trouvé vos bébés assis sous l’ancien pont-levis, le porche, ainsi qu’on l’appelle. Ils se croyaient en Russie.