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BOURSES DE VOYAGE

loupe. Seulement, il n’aimait pas à se rappeler que la Guadeloupe capitula devant les Anglais en 1759, qu’elle repassa sous la domination anglaise en 1794, puis en 1810, et ne fut réellement restituée à la France que par le traité de paix du 30 mai 1814.

Après tout, la Pointe-à-Pitre méritait la visite des jeunes voyageurs, et M. Barrand saurait bien en faire valoir les beautés avec une conviction qui les pénétrerait. Ce serait l’objet d’une promenade spéciale, et ses invités ne firent que traverser la ville dans les voitures mises à leur disposition. En un quart d’heure, ils eurent atteint l’habitation de Rose-Croix, où les attendaient Louis Clodion et son oncle.

Ce qui les attendait aussi dans la grande salle à manger de cette superbe villa, c’était un déjeuner excellent, plutôt solide que recherché. Et quel accueil lui fit toute cette jeunesse affamée, quartiers de viande de boucherie, poissons, gibier, légumes récoltés sur la plantation, fruits cueillis aux arbres des vergers, café de premier choix, et qui, pour être de la Guadeloupe, n’en fut pas moins déclaré supérieur au Martinique, par cela seul qu’il provenait des caféiers de Rose-Croix ! Et toujours l’éloge de la Guadeloupe, plus particulièrement celui de la Pointe-à-Pitre, avec force toasts et santés portés par l’intarissable amphitryon et qu’il fallait rendre.

Et, cependant, quoi qu’il en soit, la nature a plus fait pour la Basse-Terre que pour la Grande-Terre. C’est une région accidentée, à laquelle les forces plutoniennes ont donné un relief pittoresque, la Grosse-Montagne, haute de sept cent vingt mètres, les trois Manilles, qui la dépassent de cinquante, le Caraïbe, qui atteint presque cette altitude ; puis, au centre, la fameuse Soufrière, dont l’extrême sommet est coté à près de quinze cents mètres.

Et comment la Grande-Terre, si ce n’est dans l’imagination impétueuse de M. Barrand, pourrait-elle se mettre en comparaison avec cette contrée si riche en beautés naturelles, une petite Suisse antiliane ?… C’est une région plate, une suite de plateaux peu relevés, de plaines à perte de vue. D’ailleurs, elle n’est pas moins favorable que sa voisine à la production agricole.

Aussi, M. Horatio Patterson de faire cette observation assez juste :

« Ce que je ne comprends pas, monsieur Barrand, c’est que ce soit précisément cette Basse-Terre que le formidable forgeron Vulcain a forgée sur son enclume mythologique — si cette métaphore peut passer…

— Avec un verre de vin, tout passe, monsieur Patterson !… répondit le planteur en levant son verre.

— Je m’étonne, disais-je, reprit le mentor, que cette Basse-Terre ait été épargnée par les convulsions sismiques, alors que la Grande-Terre, plutôt sortie des mains caressantes du dieu Neptune, y est particulièrement exposée…

— Bien observé, monsieur l’économe ! répliqua M. Barrand. En effet, c’était la Basse-Terre que ces cataclysmes auraient dû éprouver et non la Grande-Terre, car la première est posée comme une marmite sur un foyer ardent !… Et pourtant, des deux îles, c’est la nôtre qui a le plus souffert !… Que voulez-vous ? … La nature commet de ces erreurs, et, puisque l’homme n’y peut rien, il faut les accepter. Aussi, je répéterai, en vous priant de me faire écho par un dernier toast : À la santé de la Grande-Terre, à la prospérité de la Pointe-à-Pitre !…

— Et en l’honneur de notre généreux hôte ! » ajouta M. Patterson.

Au surplus, ces souhaits étaient déjà réalisés. La Pointe-à-Pitre a toujours prospéré depuis sa fondation, malgré les agressions et invasions qui ont désolé l’île, malgré les incendies dont la ville a été victime, malgré le terrible tremblement de terre de 1843, qui, en soixante-dix secondes, fit cinq mille vic-