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trahir son émotion ; pâle et tremblante, Colette s’efforce vaillamment de sourire ; quant à Mme Massey, étouffée par les larmes, elle cache son visage dans son mouchoir ; elle s’était tant promis d’être brave jusqu’au bout : hélas, elle ne peut pas !… En lui adressant quelques paroles de tendresse, Henri fait déborder les pleurs prêts à couler.

« Henri, mon Henri ! Promets-moi que tu reviendras… que tu ramèneras Gérard… que tu me les ramèneras tous ! » balbutie la pauvre mère, incohérente et désolée.

C’est le signal de l’émotion générale. Colette entoure Gérard de ses bras, serre sur son cœur ce frère qui lui est doublement cher en raison des épreuves partagées ; puis elle se recule un peu, le regarde comme si c’était pour la dernière fois ; le franc éclair de ses yeux bleus, le sourire de cette bouche qui n’a jamais menti, les reverra-t-elle jamais ? Tant de bravoure, d’entrain, d’esprit, de bonté, de charmantes et heureuses qualités, tout cela est-il destiné à périr bientôt, soit dans cette hasardeuse ascension, soit sous les balles de ceux qui gardent Nicole ?

Et, sans qu’elle s’en aperçoive, elle aussi laisse inonder de larmes son doux visage.

Lina s’est jetée au cou de son père, elle sanglote sur sa poitrine, tandis que le bon vieux savant caresse sa tête blonde ; Martine pleure bruyamment, et Le Guen se mouche avec un bruit de trompette.

« Allons, allons ! fait enfin M. Massey, non sans s’être éclairci la gorge en toussant à plusieurs reprises ; réagissons, je vous en prie ! Réagissons ! Le Guen ! Apporte une bouteille de champagne, que nous trinquions au succès de l’entreprise, et, pour l’amour du ciel, montrons à la fortune des visages plus gaillards ! Vous savez que cette déesse n’aime pas les mines renfrognées !… »

Le Guen a apporté la bouteille au col d’argent ; le bouchon est parti avec un bruit de fête ; maîtres et serviteurs trempent leurs lèvres dans le fin breuvage, pétillant comme le génie de la France. Chacun y puise un peu de réconfort.

« À votre heureux voyage ! s’écrie M. Massey.

— À votre prompt retour ! murmure Mme Massey.

— Puissiez-vous nous ramener bientôt notre chère Nicole ! continue Colette.

— Oh, oui… fait tout bas Lina.

— Gloire et longue vie à l’inventeur du moteur léger ! dit le docteur Lhomond.

— Honneur et gloire au savant constructeur de l’Epiornis ! appuie Martial Hardouin.

— À la santé de mon bon Le Guen ! fait la petite Tottie, qui trouve que le gabier est un peu oublié dans tous ces toasts.

— Cher ange du ciel ! » s’écrie Martine, étouffant la fillette de baisers.

Et, toute ragaillardie par cette attention de la mignonne, aussi bien que par le vin de Champagne :

« Allons ! bon voyage ! Et surtout ne vous rompez pas le cou !… Et dépêchez-vous d’en finir… Nous allons nous languir de vous ici, les autres ! Chès ! Qui m’aurait dit que je vivrais pour voir ces enfants nous quitter encore ! Vous n’en avez donc pas assez de cette Afrique ?…

— Chut ! chut ! fait Gérard, montrant sa mère abîmée dans les bras d’Henri.

— Mon fils ! mon premier né ! Promets-moi d’être prudent ! Promets-moi !… Oh ! pourquoi faut-il que vous soyez possédés de cet esprit d’aventures ! Tant d’autres mères gardent leurs enfants auprès d’elles. Pourquoi les miens ne sont-ils pas ainsi faits ?…

Des ronds de cuir ! s’écria Gérard. Vous vous calomniez, maman ! Vous ne voudriez pas de ces fils-là ! »

On sourit de cette boutade ; on se lève, car il en est temps ; brusquant les adieux, les quatre voyageurs franchissent la passerelle et prennent dans l’aviateur leur place respective : Henri et Wéber devant le moteur ; Le